« Aborder la ségrégation à partir des quartiers populaires, c’est prendre le problème à l’envers ».
Une interview de Renaud Epstein, sociologue à l’université de Nantes.
Publié sur le site du Monde le 24 janvier 2015.
En lire qqs extraits choisis, l’idée étant de vous donner envie de lire tout l’article…
Extraits choisis
Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait qu’ils sont extraits de leur texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de cet article.
Ceux-là même qui répètent qu’il ne faut pas faire d’amalgames, qu’il faut prendre garde à ne pas stigmatiser les musulmans, alimentent par leurs discours sur les quartiers populaires un autre amalgame. Passer d’un événement dramatique à la dénonciation des « territoires perdus de la République » est d’autant plus absurde que les frères Kouachi ont passé une bonne partie de leur adolescence en Corrèze !
Aborder la ségrégation à partir des quartiers populaires, c’est prendre le problème à l’envers. Parce que la situation des quartiers pauvres n’est que le résultat de mécanismes qui se jouent à l’échelle de la ville, en partant des quartiers riches, ces « ghetto du gotha » décrits Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot au regard desquels les quartiers HLM sont des quartiers de mixité sociale !
Si on veut lutter contre la ségrégation, partons des mécanismes qui en sont à l’origine et non des conséquences.
Trois types de politiques ont été mises en œuvre afin d’assurer la « mixité sociale » des quartiers :
- La première, amorcée au début des années 1990, joue sur les attributions HLM. Il s’agit alors d’éviter que les flux d’entrée dans le logement social ne viennent renforcer la spécialisation des quartiers ou des immeubles dans lesquels sont déjà concentrés certaines catégories de locataires perçus comme problématiques : les ménages défavorisés, les grandes familles et donc, implicitement, les immigrés.
- Les deux autres politiques développées contre la ségrégation jouent sur un autre levier, celui de la répartition spatiale du parc social. Cela passe d’un côté par la construction de logements sociaux dans les communes qui en sont le moins pourvues (avec les fameux 20% de la loi SRU, passés à 25% avec la loi ALUR), de l’autre côté par la démolition de logements sociaux dans les quartiers où leur concentration est la plus massive, ce que l’on appelle la rénovation urbaine.
Ces trois politiques se sont heurtées à de nombreux obstacles : au déficit de logements sociaux à bas loyers, qui limite de fait l’offre disponible pour les ménages défavorisés aux seuls quartiers de grands ensembles ; aux stratégies protectionnistes des maires, qui n’ont accepté la construction de HLM dans leur commune qu’en contrepartie d’un droit de regard sur les attributions, et qui ont ensuite bloqué l’arrivée des familles jugés indésirables ; aux bailleurs sociaux eux-mêmes, qui ont parfois choisi de concentrer ces mêmes familles dans les immeubles les plus pourris pour préserver d’autres segments de leur parc.
Le travail sur les attributions ne peut avoir d’effet sur la ségrégation s’il ne s’accompagne pas d’une politique volontariste de construction HLM dans la durée, à l’image de ce qu’a fait l’agglomération rennaise qui apparaît aujourd’hui comme le modèle à suivre pour tous les acteurs du logement.