De 2017 à 2021, la recherche action participative « Les quartiers populaires au prisme de la jeunesse » (surnommé « Pop-Part ») a amené 120 jeunes (15-34 ans) habitants de 10 quartiers populaires d’Île-de-France, une quinzaine de professionnel·les de la jeunesse, et une quinzaine de chercheur·euses de différentes disciplines, à travailler ensemble pour mieux comprendre les réalités derrière l’expression stigmatisante de « jeunes de quartier ».
En découvrant les multiples productions de cette recherche (ouvrage, site Internet, capsules vidéos, documentaire, pièce de théâtre, podcasts), j’ai été réellement enthousiasmée de sentir comment les jeunes ayant pris part à cette recherche ont été au cœur de la démarche, comment iels n’en ont pas été les objets, mais bien les co-producteur·ices. Il me semble que ces jeunes en tirent réellement quelque chose pour leur vie et leur futur, et pas seulement pour la science. Et cela m’a beaucoup touchée.
Comme toutes les catégories minorisées ou stigmatisées, les « jeunes de quartier » ont peu de prise sur les représentations qui sont données d’elleux. Iels font l’objet de discours mais n’ont pas le droit à la parole. C’est pourquoi pour faire cette recherche, Jeanne Demoulin et Marie-Hélène Bacqué, les deux chercheuses à l’origine de cette démarche, ont souhaité faire de la recherche autrement.
Cette recherche s’est déroulée en trois étapes. D’abord, des ateliers collectifs thématiques ont été menés dans chacun des 10 quartiers, suivis d’entretiens individuels. Ces ateliers ont permis aux jeunes de s’approprier la question de recherche, de creuser ses implications et les sujets qu’elle couvrait. Ensuite, toustes les jeunes se sont retrouvé·es à Paris le temps d’un week-end pour mettre leurs réflexions en commun et approfondir ensemble leurs analyses. En croisant leurs productions (et notamment les capsules vidéos qu’iels avaient réalisées dans chacun des quartiers), iels ont pu discuté de la stigmatisation commune qu’iels subissent, mais aussi des stigmatisations différentes entre les quartiers, stigmatisations qu’elleux-mêmes diffusent parfois également. Iels ont donc travaillé cette complexité d’une réalité dont on ne peut s’extraire, mais sur laquelle on souhaite agir. Les jeunes ont ensuite demandé une troisième étape qui n’était pas prévue initialement par les initiatrices de la recherche : approfondir sur les mots, le temps d’un second week-end collectif. C’est ce travail qui a donné lieu à la publication de l’abécédaire « Jeunes de quartier – Le pouvoir des mots ». De « discrimination » à « Engagement », en passant par « Maraudes » ou « Médias », ce sont les jeunes ont elleux-mêmes qui choisi les mots qui leur semblaient significatifs. Et, à la surprise des chercheur·euses, iels ont écarté le mot « inégalités ».
Un parcours d’éducation populaire
Pour les jeunes, objets et sujets de cette recherche, celle-ci a été l’occasion d’un véritable parcours d’éducation populaire : une éducation populaire autonome et collective. Ce ne sont pas les chercheur·euses qui, à l’issue de leur travail, sont venu·es leur présenter des clefs de compréhension de leurs situations, ou les professionnel·les qui leur ont prodigué conseils et accompagnement. Pendant cinq années, iels ont travaillé ensemble, iels ont croisé leurs regards en partant des expériences vécues par les jeunes, pour prendre ensemble de la hauteur, construire une compréhension et une analyse, et finalement sortir grandi·es de ce travail collectif. On est donc au cœur de ce qu’est l’éducation populaire politique : un processus de recherche populaire continue dans lequel on part de nos réalités pour les analyser collectivement en croisant nos différentes expériences avec d’autres et avec des savoirs savants, de manière à mieux en comprendre la complexité et à trouver des moyens d’agir pour les faire évoluer (puis on continue ce cycle action-réflexion ad libitum), nourrissant ainsi à la fois notre émancipation collective et la transformation sociale.
Un parallèle avec le processus des conférences gesticulées
Au-delà de ce parcours d’émancipation pour elleux-mêmes, les 120 jeunes de la recherche ont également réalisé des productions collectives qui leur permettent de partager leurs réflexions : l’ouvrage « Jeunes de quartier : le pouvoir des mots », le site Internet https://jeunesdequartier.fr, les capsules vidéos qui sont visibles sur ce site, une pièce de théâtre qui tourne actuellement, et une série de podcasts (quatre actuellement en ligne, deux supplémentaires à venir). Par ailleurs, un documentaire a été réalisé pour documenter la démarche.
On peut comparer ces productions aux conférences gesticulées qui, depuis une quinzaine d’années, contribuent à la vitalité du secteur de l’éducation populaire. Celles-ci sont le résultat de processus d’éducation populaire vécus par leurs auteur·ices, et permettent à celleux-ci de transmettre à un public intéressé leur cheminement et leurs conclusions. Ce public pourra alors, s’il le souhaite, soit se contenter de visionner ce compte-rendu, qui est le plus souvent extrêmement éclairant comme peut l’être une conférence, mais dont la forme facilite de beaucoup la compréhension et l’appropriation du propos (parce que ce sont des formes vivantes, mais surtout parce qu’elles croisent expériences de vie et savoirs savants, ce qui permet de faire facilement le lien entre ceux-ci et les réalités que nous vivons), soit décider d’aller plus loin en utilisant ce savoir pour nourrir leurs propres dynamiques collectives d’éducation populaire.