Rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration
Par Thierry Tuot
1er février 2013
La grande nation pour une société inclusive
Lire des extraits choisis de ce rapport :
Le rapport peut être téléchargé en suivant ce lien.
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Croit-on qu’on transforme les relations sociales en donnant des leçons de morale ? Il en faut une, le droit (pénal) doit passer. Mais acquérir un emploi, accéder au logement, sortir des ghettos, pratiquer paisiblement la religion de son choix, échapper à l’échec scolaire, se défaire de l’emprise des origines pour n’en garder que la fierté : tout cela ne peut s’obtenir par cette seule voie.
Qu’est-ce que l’intégration ? C’est le phénomène social par lequel se dissipe le rôle majeur de l’origine réelle ou supposée comme facteur des difficultés sociales rencontrées par une personne.
Les difficultés sociales peuvent tenir :
- À l’intéressé pour des motifs non objectifs, dus soit au sentiment personnel d’échec ou d’impossibilité d’évolution, soit au refus, pur et simple, rarement idéologique ou religieux, plus souvent fondé sur le ressentiment et le sentiment de la condamnation de la société à une relégation ou à un échec.
- Au comportement de la société d’accueil : exclusion par peur, discrimination par préjugés, réaffirmation identitaire, beaucoup plus rarement racisme pur.
- À des faits objectifs plus qu’à des comportements collectifs, ces faits mêlant histoire, géographie, sociologie : la concentration géographique des origines, la ségrégation spatiale des habitats, par strate sociale et origine…
L’intégration garantit seulement que le défaut de prospérité, de santé ou d’emploi n’est pas dû à d’autres motifs qu’éprouvent et subissent ceux auxquels une origine étrangère n’est pas prêtée.
Comme en santé humaine, la santé sociale peut globalement reposer sur la prévention, mais guérir est toujours une histoire personnelle, vivre français aussi.
À notre société émiettée, tribalisée, internationalisée, individualiste, fragmentée, où les communautés multiséculaires, qui étaient famille, paroisse, province, et les groupements collectifs assurant la socialisation (syndicats, partis, église) sont remplacés par des multiples appartenances croisant les critères et insoucieuses de cohérence : qui dire comment on y est intégré ? Comment le mesurer ?
Incapacité à définir ce qu’on intègre autrement qu’abstraitement.
La société qui intègre se transforme autant qu’elle transforme celui qu’elle intègre.
Une société compartimentée, par des coupures de revenus inégalitaires, des territoires en déshérence, des modes de vie tenus à l’écart, est une société qui génère de la violence, sur les frontières qui la structurent, la rancœur et la revendication, l’amertume et la brutalité chez ceux qu’elle écarte, la peur et le repli chez ceux qui en sont.
Un effort asymétrique où certains ont des droits et d’autres des devoirs.
Comprendre n’est pourtant pas excuser ; mesurer et ramener à sa juste proportion n’est pas justifier.
On peut mesurer la conspiration du silence en observant le nombre de débats parlementaires consacrés à l’intégration depuis 1945 : zéro.
On préfère se consacrer en parole à la lutte contre les discriminations, portée par un discours constant à droite et à gauche depuis quinze ans sans jamais dépasser le stade des généralités inefficaces.
S’en remettre entièrement aux associations, en leur coupant cependant peu à peu les vivres et ne leur autorisant que des emplois au rabais.
La généralisation des appels d’offres a éliminé toute appréciation qualitative fine des associations et fait disparaître les plus modestes.
Notre place dans le monde ne se mesure pas à nos richesses : elles sont limitées, et ne permettent pas, aujourd’hui, revenir à la pleine ouverture des frontières (qui fut, quand même, l’état du monde pendant les 40 siècles précédent le 19ème…)
Accompagner la transformation sociale que notamment, les flux migratoires (comme la mondialisation, la technologie, le progrès médical, l’évolution des mœurs, etc.) génèrent en permanence.
Le regroupement familial est un droit dérivé des principes universels de dignité et de liberté. L’asile politique est un devoir et un honneur pour nos traditions.
Il est difficile de viser les publics, car les désigner ainsi les stigmatise, les identifier objective le fantasme de la différence et le cristallise.
La politique à conduire sera donc territoriale.
Rendre confiance : les gestes fondateurs d’une ambition
L’immigration est principalement européenne, et très minoritairement maghrébine. Elle est aussi très minoritairement de confession musulmane.
Acharnement mis à durcir, réduire, et compliquer l’accès à la nationalité.
Qu’on se place un instant dans l’esprit de ces personnes [les « clandestins »] : pourchassées, humiliées, maltraitées, on finit par leur donner du bout des lèvres l’autorisation de rester, un titre de séjour. Croit-on qu’ils vont avoir encore la République une reconnaissance, après qu’on leur aura si durement dit qu’ils n’avaient aucun droit à être ici, après que nous aurons fait tout notre possible pour les rejeter hors de nos frontières, sans ménagement, quand nous finirons par leur donner ce qu’ils demandaient depuis le début ?
Titre de tolérance : ce titre ne donnera que des droits extrêmement réduits au moment de sa délivrance. Droit d’échapper au contrôle par sa présentation, droit d’accéder à la CMU, droit d’accéder pour une durée maximale à fixer à un logement d’urgence. Sa délivrance sera assortie d’une journée d’entretien avec le service public de l’accueil et de l’intégration. On signifiera à l’intéressé qu’il dispose de 5 ans pour montrer que sa présence, bien qu’initialement irrégulière, peut lui donner un droit au séjour.
Reconnaissons que la politique d’intégration ne reposera jamais sur des prestations ou des dispositifs, en dehors des parcours d’accueil initiaux, individuels, horizontaux, et généralisés. Elle doit cependant être une politique qui s’adresse aux personnes, une par une, par une action méticuleuse individualisée d’accompagnement social. Elle doit, de ce fait, s’inscrire dans des cadres de cohérence qui garantissent qu’aucun de ceux devant bénéficier de cette politique n’en sera exclu.
Confiant tout le secteur aux associations, on a, ensuite, entrepris de les détruire.
Des fonctionnaires d’élite
Aucun fonctionnaire n’a le droit de moquer, ridiculiser, et encore moins de combattre ou nier, nos compatriotes quelles que soient leurs origines, ou les étrangers qui viennent à être en contact avec notre Etat quel qu’en soit le motif. Chacun a droit à notre plus entier respect, en tant qu’être humain, qui à ce titre a le droit d’exiger de notre Etat respect, courtoisie, et bienveillance, quels que soient sa situation juridique, ses droits, son statut.
Si l’on croit devoir finir sur ce rappel, c’est que les contacts qu’on a pu entretenir ici ou là dans la préparation de ce rapport établissent une très inquiétante dégradation du standard de relations avec le public quand il est d’origine étrangère ou de confession musulmane, qu’on peut à la rigueur comprendre, sinon excuser, chez un agent de terrain objet parfois de pressions, de risques ou de dangers dans son exercice professionnel, sans qu’on ait pu aujourd’hui lui fournir les exemples, les règles et les moyens de les surmonter, mais qui, chez un cadre supérieur, devrait systématiquement, immédiatement, et publiquement, appeler les sanctions disciplinaires les plus fermes et la mise à l’écart la plus rapide.
Respecter le principe de dignité.
Le CV anonyme, les statistiques ethniques, ou toute autre mesure radicale immédiate aisément compréhensible pour un journal télévisé.
Laissons prier les musulmans !
La « question musulmane », pure invention de ceux qui la posent, ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits. À l’islamisme (revendication publique de comportements sociaux présentés comme des exigences divines et faisant irruption dans le champ public et politique) répond un laïcisme de combat, furibond et moralisateur, qui mêle dans un étrange ballet les zélotes des racines chrétiennes de la France, qu’on n’attendait pas au chevet du petit père Combes, et républicanistes tout aussi intégristes, qui semblent n’avoir de la liberté qu’une idée terrifiée, ou, hélas, souvent terrifiante.
Double devoir d’intelligence et de bienveillance.
La sécularisation de notre vie sociale rend tout geste d’inspiration religieuse étonnant et, par suite, incompris, dérangeant et suspect.
Il ne s’agit par de restaurer l’éducation religieuse à l’école, mais d’instiller dans la société entière, en commençant d’ailleurs par la classe politique, la connaissance du fait religieux.
La laïcité n’est pas une condamnation de la religion, ou une interdiction, elle est avant tout l’affirmation la plus nette de la liberté :
- Liberté de croyance, sans laquelle aucun état n’est digne du nom de démocratie ou de république
- Liberté de culte, dans toutes ses dimensions : privée et publique, individuelle et collective, avec un clergé ou de doctes initiés
- Liberté corrélative, de même valeur, de ne pas croire, donc de ne pas participer au culte
- Liberté de clamer sa foi et de tenter d’y rallier autrui (encore que si les dieux existent, la nécessité pour eux de recourir à des rabatteurs rend perplexe quant à la portée de leur toute puissance…)
- Liberté de critiquer, et de juger la religion d’autrui
La liberté est un risque permanent, il n’y a que les dictatures qui soient confortables.
L’État ne reconnaît aucun culte. Il s’interdit de ce fait de discerner le bon grain( comme les églises concordataires étaient) de l’ivraie (comme la difficulté à qualifier ou pas de sectes des religions ou de religions certaines sectes, le montre). Il n’a donc pas le droit d’opposer une religion (ou une tradition religieuse) « du pays », qui serait on ne sait quel judéo-christianisme de synthèse, à une religion « allogène », que serait, bien-sûr, l’islam (et qui était il y a un peu plus de 70 ans le judaïsme…).
(…) Ce que l’État offrira alors, c’est la protection de la liberté, en rien celle des exigences particulières de telle religion qui voudrait affirmer la sienne en y conformant –en y asservissant- celle des autres. On dit cela non à l’islam, mais à toutes les églises, qui en ont toutes également besoins.
La seule limite que nous posons donc aux religions est l’ordre public.
Aux féministes de la 25ème heure invoquant notre conception, sacrée, de la place de la femme, rappelons quand même qu’elle est assez récente (le droit de vote date de 1946, celui de faire des chèques des années 60, et celui de jouer un rôle dirigeant dans l’économie et la société leur est, qu’on sache, encore souvent refusé.
Ceci, non pour reconnaître la légitimité de la minoration de la femme, mais pour nous inviter à un peu de modestie et de mesure dans la façon de donner des leçons.
La revendication fondamentale des religions, islam compris, est qu’on leur fiche la paix.
Toute mesure vexatoire ou discriminatoire est ici haïssable, et injustifiable, et elle suffit à jeter dans l’extrémisme nombre de nouveaux convertis, ou de croyants en revenant à la pratique, que de mauvais esprits s’emploient à chauffer à blanc à partir de faits hélas fondés.
Ne brandissons « l’inacceptable » que lorsqu’il se présente à nous, c’est-à-dire non à notre libre-arbitre – libre à nous de prier ou pas et de le faire en hommes ou en mélangeant les sexes – mais en voulant imposer au service public des prestations différentes, ou à l’espace public, des règles qui ne seraient pas partagées. Nous pouvons accepter la présence des religions dans l’espace public, non qu’elles revendiquent sa structuration. Celle-ci n’appartient qu’au législateur, qui définit le cadre dans lequel les pratiques sociales sont libres.
Lorsque la nourriture est par force fournie par l’État, comme dans les prisons, il faut bien-sûr respecter les interdits alimentaires quels qu’ils soient. Lorsqu’elle relève d’une faculté, dans les cantines, rien en revanche ne le justifie : la liberté de croire au regard de ce que l’on mange ne crée par à l’État le devoir de la fournir.
Quand même, reprenons-nous ! La France a-t-elle jamais dépendu de ce qu’un bout de tissu, boubou, coiffe bretonne, chèche ou béret, soit porté d’une façon ou d’une autre ? Il ne nous faut pas grand-chose pour pacifier notre horizon mental commun.
Culture : c’est à ses fruits qu’on reconnaît l’arbre
Il n’appartient en rien à l’État d’enseigner ou diffuser les cultures « d’origine ». Ne pas les humilier, refuser de les stigmatiser, encourager chacun à les assumer ou les revendiquer ne peut ni ne doit conduire à les enseigner ou à les diffuser en tant que telles.
Avec l’éducation, et encore plus qu’elle, la culture est le plus insigne domaine de ségrégation sociale.
Interdisons la construction de nouvelles institutions culturelles ailleurs que dans les communes relevant des zones prioritaires de la politique de la ville dans les 31 années à venir.
Si l’on avait construit la philharmonie à Montfermeil et consacré la rénovation du français à la création d’une première salle à Chanteloup-les-Vignes, et conçus ensuite évidemment tarifs et transports et services associés en fonction de ces localisations, on aurait mieux justifié les sommes investies.
On peut se croiser aux Amandiers sans se mélanger, être à 2 pas sans se fréquenter.
À ceux qui ont le revenu et le pouvoir, on offre en plus la gratuité d’une offre privée, élargie, hors marché, sans prix, qu’on leur présente gracieusement.
La reconquête des classes populaires par la société doit passer par une éducation populaire artistique.
L’équipement culturel ne devrait jamais être un accessoire, mais au contraire le 1er équipement social.
On pourra (non sans raison) critiquer un tropisme classiciste. Encore qu’on y opposera à nouveau qu’il n’y a aucune raison pour cantonner les pauvres et les immigrés à une forme de sous-culture globalisée plutôt que de leur offrir la haute culture qui est aussi la leur et à laquelle chacun a droit.
Loger
Le logement est le premier vecteur de l’intégration, avant l’emploi et le savoir.
Un logement spécifique a trop souvent des effets contraires à ce qu’on devrait escompter.
Il n’est pas sûr que cette fameuse (ou fumeuse) mixité ait jamais existé, ni d’ailleurs que la société la produise ; et la concentration de personnes par affinités (à condition que ce ne soit pas par contrainte) est spontanée, hormis quelques quartiers où la variété domine, créant le plus souvent une attractivité un peu sulfureuse…
Que personne ne se sente assigné : telle est l’ambition. Que nul ne soit jugé défavorablement sur sa seule adresse : tel est le but.
Il ne sert à rien d’offrir à ceux qui zonent dans une cage d’escalier défoncée une cage d’escalier neuve si on ne leur offre pas d’abord un autre choix que d’y zoner.