Il y a la pédagogie traditionnelle, la pédagogie nouvelle, et puis il y a la pédagogie sociale.
Dans le livre « Des lieux pour habiter le monde – Pratiques en pédagogie sociale » (aux éditions Chronique sociale), Laurent Ott et ses acolytes de l’association Intermèdes Robinson nous donnent à voir différentes facettes de leur pratique.
Un livre à lire, une pratique à découvrir.
À lire aussi : j’ai reproduit dans un autre post un texte issu de ce livre, « La théorie du compost en pédagogie sociale », écrit par Robin Dècle.
4ème de couverture
L’association Intermèdes Robinson est ce qu’on appelle une initiative citoyenne. Portée par des bénévoles, elle propos une démarche réfléchie, volontaire, en lien avec une véritable pédagogie. À partir de principes simples mais particulièrement adaptés aux problèmes sociaux de notre temps (la constance, la disponibilité, l’accueil inconditionnel, la gratuité, l’accueil de la différence, de l’hétérogénéité, l’ouverture à l’inattendu), Intermèdes Robinson est devenue une véritable aventure collective.
Se mettant à la portée de tous les publics qui ne trouvent plus de place dans les structures et institutions classiques, que celles-ci soient éducatives, sociales, culturelles ou autre, les volontaires et permanents de l’association se sont, jour après jour, confrontés à une réalité étonnante, riche de possibles, mais souvent dans des conditions précaires.
Les textes rassemblés dans ce recueil proviennent de toutes sortes d’acteurs de l’association : stagiaires, permanents, bénévoles volontaires, adhérents. Ils ont été également écrits par des personnes de tout âge. Tous les rédacteurs de ce livre ont accepté une règle commune, une invitation liminaire : choisir parmi les innombrables photos prises durant les actions de l’association, celle qui pour tout raison, les touche.
Dès lors, ils ont été invités à écrire et décrire ce que pour eux, cette photo illustre ou révèle. Il s’agit donc d’un livre d’image autant que de texte, qui se répondent, se complètent, se soulignent, ou contrastent.
L’objet commun de ces moments de vie et d’expériences, est de rendre compte d’une démarche collective : la Pédagogie sociale.
Contrairement à de nombreux savoirs techniques, ou savants, cette Pédagogie sociale n’est pas l’apanage de spécialistes ou de professionnels.
En Pédagogie sociale, pour dire les choses simplement, « on mélange les gens ». Il n’y a pas d’obstacles ou de cloisons entre adultes, enfants usagers, bénéficiaires, volontaires, professionnels, bénévoles. Tous se retrouvent autour de pratiques collectives qui mettent en avant la dimension du « vivre et faire ensemble ».
Il s’agit ici de pouvoir apprendre à dire à la fois « je » et « nous », et à devenir plus libres ensemble. Pour cela, les acteurs développent et partagent tous leurs « petits » pouvoirs d’agir sur le monde.
Cette Pédagogie sociale, c’est bien entendu celle de Célestin Freinet, celle de Janus Korzak, pour ne citer qu’eux. Mais c’est aussi tout simplement celle de chacun et de « nous ensemble ».
Extraits en vrac
Principes simples mais particulièrement adaptés aux problèmes sociaux de notre temps : la constance, la disponibilité, l’accueil inconditionnel, la gratuité, l’accueil de la différence, de l’hétérogénéité, l’ouverture à l’inattendu.
Il ne s’agit pas d’activité, en ce sens que ce qui est réalisé n’est ni un passe-temps, ni un loisir demandé et programmé, mais une réponse à des besoins ou à des problèmes que nous partageons.
Apprendre à dire à la fois « je » et « nous » et à devenir plus libres ensemble.
L’enfant est un être social que le pédagogue peut comprendre en l’observant dans son milieu social, et l’action pédagogique doit intervenir sur le milieu de vie sociale pour apporter des réponses aux besoins sociaux.
Les phases de développement en pédagogie sociale sont les suivantes :
– D’abord, il s’agit de sortir les enfants de leurs quartiers habituels pour leur en faire découvrir d’autres, donner de l’impulsion aux projets des enfants ; dépasser le stade de simple « consommation »- Ensuite, il est question de développer le pouvoir d’agir des enfants, en utilisant les ressources courantes de leur entourage, ce qui permet aux enfants d’acquérir des connaissances ;
– La dernière phase comprend la valorisation du travail démocratique qui doit se faire à travers de multiples partenariats locaux avec le monde associatif, culturel, sportif ;
– Cela permet aussi d’impliquer les familles des enfants.
Les ateliers de rue visent pour les enfants la lutte contre la violence, la solitude affective et ses effets, au travers de l’apprentissage de la coopération, du collectif, permettant un vivre ensemble apaisé, ce qui passe notamment par la valorisation de chacun au sein du collectif, mais également par la valorisation du collectif lui-même.
Les ateliers de rue et les différentes activités de l’association permettent à certains parents un dépassement des craintes ou de la méfiance qu’ils peuvent avoir vis-à-vis des intervenants éducatifs, leur permettant par la suite d’accepter que leurs enfants puissent s’investir dans des relations collectives et personnelles, en dehors d’eux.
L’expression « pédagogie sociale » exprime la volonté d’inscrire la pédagogie au cœur de la société et des rapports humains qui l’animent.
Il s’agit d’œuvrer en même temps à l’émancipation sociale et à un développement créatif de l’individu.
Apartheid éducatif
Ce sont aujourd’hui les temps périscolaires qui sont devenus les plus grandes sources d’inégalités et d’injustices. Les enfants les plus favorisés par leur milieu accèdent à des savoirs plus ludiques et plus ambitieux hors temps scolaire, pendant que les plus pauvres n’ont que le droit de rabâcher et de voir leur comportement de plus en plus surveillé et sanctionné.
Sorte « d’apartheid éducatif ».
Travailler dans la rue
C’est bien de cela dont il s’agit : de travailler dans la rue, hors des institutions, de se réapproprier en quelque sorte l’espace public comme espace social et de vie. La rue n’est pas un cadre, ni même un réalité univoque. Elle est l’affirmation d’une option politique et pédagogique majeure.
La rue a toujours représenté, que ce soit pour les philosophes ou les pédagogues, le milieu qu’il fallait fuir.
La pensée est toujours la même, depuis les premières colonies agricoles, pénitentiaires et les premiers séjours « d’aération » : l’environnement redresserait naturellement l’individu mal influencé par la ville, par la rue, par son quartier. Il s’agit de jouer l’environnement contre le milieu ; selon une dialectique éducative de base, l’un est perpétuellement idéalisé, le second, diabolisé.
L’environnement n’est que l’alibi du désir de puissance et de contrôle de l’éducateur.
La peur des influences qu’on ne peut entièrement contrôler est une caractéristique de la pensée éducative idéaliste, celle qui voudrait maîtriser à la fois les buts, les moyens et les parcours, par où en passe un enfant.
Refus du clivage groupe / individu
Loin d’être en négation, le groupe peut être le moteur du développement et de l’enrichissement des personnes. Le groupe soutient, protège, nourrit, cultive les différences… À la condition, bien entendu, que ce groupe soit structuré par un cadre éducatif qui garantisse la sécurité matérielle et affective de chacun.
Le groupe, comme ce qui permet de prendre conscience de toutes les oppressions qui nous entravent ; le groupe comme ce qui permet d’ailleurs, dans un second temps, de trouver les moyens concrets de s’en libérer. (cf. Paulo Freire)
Pas une vision charitable de l’éducation, mais une vision politique.
Éveiller la conscience de ce qui échappe si souvent à l’homme : sa condition. Comprendre sa condition est une entreprise qui ne peut se réaliser que là où nous sommes, à partir de la connaissance et de la compréhension de nos proches, dans un travail éducatif durable et pratique.
L’accueil dans le concret
Nous n’accueillons personne à proprement parler, mais, au contraire, nous rejoignons notre public, là où il est, dans son contexte immédiat. Pour autant nous déployons de nombreuses manifestations d’accueil : salutations systématiques, y compris vis-à-vis des personnes qui se tiennent à distance.
L’attention et l’intention sont les bases qui viennent sceller la relation.
Durée, régularité et rituels
Afin d’affirmer la stabilité, nous nous employons à ritualiser le quotidien.
Nous associons les enfants au déroulement de ces rituels et nous les en rendons volontiers « responsables ».
Nous prenons le temps de nous dire au-revoir avec les mêmes attentions de l’accueil : bises, rendez-vous donné à la semaine suivante.
Un regard, une posture
Nous signifions toutes les petites choses que nous remarquons (une nouvelle coupe de cheveux, des oreilles percées, de nouvelles chaussures, un nouveau jeu).
Nous sommes des généralistes
Quand on travaille en « pédagogie de rue », on n’est par définition rarement la bonne personne. Nous rencontrons des problèmes complexes, mais surtout qui nous apparaissent « techniques ». Bref, chaque situation semble appeler une véritable armée de spécialistes, et nous nous sentons en infériorité, quasi complexés : nous disons ce que nous pouvons, faisons ce que nous pouvons, en pensant chaque fois qu’un autre ferait mieux que nous. Ah, si seulement il était là !
En pédagogie sociale, il n’y a pas d’entrée par les compétences, mais par la présence ; c’est parce que nous sommes là que nous sommes saisis par la demande de l’autre ou des autres.
Nous ne réparons pas, nous ne bouchons pas les trous
Plutôt que de combler les manques, nous mettons de l’huile sur le feu. Nous rendons visibles ceux qui sont cachés, les invitons à se rendre visibles, à prendre place dans les espaces publics. Nous leur proposons un « nous » hésitant, un « je » un peu plus fort pour sortir d’un « on » sans avenir, sans personne et sans voix.
Nous dépersonnalisons les problèmes, les socialisons, ce dont il s’agit est de sortir de « l’individu prison ».
Le travail « en pyramide »
1- Le grand groupe ou collectif ouvert
Actions suivies très sérieusement et qui fidélisent rapidement un public large. Ce stade, le plus large (la base de la pyramide) est le plus important : il permet le contact de départ et une première connaissance des situations vécues par les adultes ou les enfants.
2- Le groupe restreint fermé
Initier ou participer à des groupes de projets.
Stade des « groupes d’initiative sociale ».
3- L’accueil et le suivi des personnes
Accompagnements individuels des personnes les plus en difficulté.
Les friches sociales
Il faut partir de ce qui est délaissé, méprisé, inconnu, petit… pour bâtir une société plus juste et un adulte plus complet.
Les savoirs informels, les savoirs non reconnus, les savoirs spontanés, ceux qui naissent dans les groupes, les rencontres, sont des savoirs fondamentaux pour le monde d’aujourd’hui et ce sont des savoirs que nous devons nous donner à nous-mêmes et entre nous, car la société et les institutions en ont abandonné la diffusion.
Bribes de pratiques
Cet espace encore désert un quart d’heure avant, balayé par un petit vent cassant, est devenu un lieu de vie où enfants et adultes ignorent la température dans le plaisir d’être ensemble.
Toute cette chaleur humaine, cette spontanéité fait du bien, très loin des chacun-pour-soi, des « moi d’abord ».
« La vie crée l’ordre, mais l’ordre ne crée pas la vie »
Saint-Exupéry
Le concept de pédagogie sociale et fondé sur le constat d’un lien étroit entre l’éducation de l’enfant et la société dans laquelle il vit.
Nous faisons ensemble. Faire prend alors le sens de fabriquer ou de produire, c’est-à-dire tout le contraire de consommer.
Faire ensemble devient alors une bonne raison de rester ensemble et de se parler.
Bonjour,
je suis éducateur depuis plus de 20 ans. je ne me retrouve plus du tout dans les valeurs (ou absences de valeurs) du secteur social d’aujourd’hui. pourtant j’adore mon métier que j’exerce par vocation.
Afin de retrouver un élan d’enthousiasme et de créativité dans mon domaine, je me suis investis dans une association, « ASSOS REGAL » à Guyancourt, dans les Yvelines. Nous voulons retrouver un mode de vie local pour lutter contre le réchauffement climatique et la malbouffe et l’injustice sociale.
j’anime les bacs à plantes maraichères au pieds des immeubles. j’aimerais vous rencontrer car la pédagogie que vous pratiquez me parle beaucoup et rejoins la mienne. Est-ce possible? Bon noël a vous tous et au plaisir de vous lire. jacques HENRY
Bonjour,
Je vous invite à prendre contact avec l’association Intermèdes Robinson, qui pratique cette pédagogie. Ils sont à Longjumeau en Essonne, donc pas très loin de vous, et vous accueillerons chaleureusement j’en suis certaine !
http://assoc.intermedes.free.fr/