Un article de Laurent Ott (voir son blog), formateur-chercheur en travail social, docteur en philosophie. Publié initialement dans la revue Forum, revue de la recherche en travail social, numéro 144 d’avril 2015 : « L’empowerment à la française ? Empowerment, développement du pouvoir social, du faire participer, de la citoyenneté : quelles relances pour quel travail social ? »
Résumé
Un des paradoxes avec un concept tel que celui d’empowerment ou pouvoir d’agir est qu’il est bien souvent davantage mis en avant par les professionnels que par ses supposés bénéficiaires. Comment comprendre un tel attrait du concept sans le mettre en rapport avec un déficit chronique des actions collectives dans le secteur de l’éducation et du travail social ? L’empowerment apparaît dès lors comme une terre promise, un paradis d’autant plus éloigné que les pratiques sociales dominantes et concrètes en prennent le contrepied ; ou bien alors on en limite la portée en s’inscrivant dans la question de la participation. A l’opposé de ces deux options, une véritable démarche de développement du pouvoir d’agir suppose de mettre en œuvre des ruptures vis à vis des pratiques en cours de participation. la Pédagogie sociale comme champ de théories et pratiques est à même d’inspirer les changements nécessaires.
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Cet article a été publié dans la revue Forum n°144-145 d’avril 2015, portant sur « L’empowerment à la française ? Empowerment, développement d pouvoir d’agir, du faire participer, de la citoyenneté : quelles relances pour quel travail social ? », pages 28 à 34.
Cette revue de la recherche en travail social est à retrouver ici.
Comprendre un engouement
Ce qui est extraordinaire avec le concept d’empowerment, couramment remplacé en Français par celui de «développement du pouvoir d’agir», c’est le consensus dont il bénéficie.
Alors que les réalisations sociales et éducatives sont quasiment introuvables, ou partielles, alors que ce concept mêle facilement différentes origines et sources d’influences, la seule chose qui soit constante, c’est qu’on est «pour».
S’interroger sur l’empowerment c’est s’interroger d’abord sur les raisons du succès de ce concept, avant même que de l’analyser, de l’illustrer et d’en débattre. A quels besoins, à quelles difficultés sociales, ce mot semble-t-il porter un remède ?
Remarquons tout d’abord l’unanimité de cette proposition du point de vue des acteurs du secteur socioéducatif et même de l’éducation spécialisée. L’idée d’empowerment y est admise comme un objectif des plus vertueux. Depuis le cadre des établissements, les projets pédagogiques des associations employeuses, mais également au sein même des équipes de terrain, promouvoir l’objectif de développer d’empowerment comme «pouvoir d’agir» recueillent un profond assentiment.
Bien curieusement ni ce terme, ni l’enthousiasme qu’ils suscitent ne trouvent particulièrement écho du côté des publics (Ott, 2013).
On cherchera vainement, en effet, dans le cadre du secteur médico-socio-éducatif des groupes d’usagers militant ou mettant en avant ce concept.
Le secteur socioéducatif n’est d’ailleurs pas le seul à plébisciter l’empowerment ; celui de l’Éducation Populaire le reprend volontiers. On peut par exemple retenir le titre du congrès national des Centres Sociaux en 2013, qui avait pour titre : «la Fabrique des possibles» et comme sous-titres : «Je m’indigne, tu écoutes, nous agissons».
Là encore c’étaient les acteurs professionnels et non les usagers qui étaient réunis de sorte que le sous-titre peut prendre un sens complètement différente selon qu’on attribue le «je» à un professionnel ou à un bénéficiaire.
La Politique de la Ville et même la Réussite Éducative ne font pas d’exception. Ici, on retient le thème comme objectif obligatoire des appels à projets ; là on recueille les bonnes pratiques et les expériences qui ouvriraient la voie (Graven 2008).
Il n’y a guère que dans l’Éducation Nationale que le concept d’empowerment n’enflamme personne. Dans cette institution, on tente encore de donner un peu de matière à l’idée de «participation» des enfants, et des parents, éventuellement ; alors de là à revendiquer un «pouvoir d’agir» pour ces catégories, on en est encore loin .
Et les raisons d’un tel enthousiasme, où faut il les chercher ?
Il serait pour le moins logique que la motivation pour développer le pouvoir d’agir des «habitants», des citoyens, des usagers, des parents, des enfants… provienne d’une sorte de diagnostic partagé que tous ces publics n’agiraient plus ou seraient entravés en tout point.
C’est bien le sens a priori de l’expression «développement du pouvoir d’agir» ; il s’agit toujours de celui des autres, des publics, des usagers…
Mais pourtant ceux qui le réclament le plus, ce pouvoir d’agir, ce ne sont pas les publics ainsi ciblés ; ce sont en général les professionnels, et même les cadres des structures éducatives, sociales ou d’éducation populaire. Il s’agit même bien souvent des élus des collectivités et de leurs cadres administratifs.
Il convient de s’interroger sur cette étrange inversion et sur les circonstances politiques économiques institutionnelles qui constituent le contexte de l’engouement pour cette idée.
Un déficit de collectif pour tous
Observons d’abord qu’une des premières caractéristiques du concept d’empowerment est que le terme renvoie dans une très grande majorité des circonstances à des modèles d’intervention sociale et éducative de type collectif (Boevé et Toussaint, 2013).
Or, nous connaissons la rareté des actions collectives dans le domaine du travail social, mais aussi dans celui de la politique de la Ville ou de la Réussite Éducative, par exemple.
Non seulement ces orientations sont rares, mais l’évolution des métiers a au contraire favorisé des pratiques éducatives et sociales d’individualisation.
En ce qui concerne le secteur social, les lois de 2002 concernant les droits des usagers, mais aussi de 2005 concernant les orientations en matière de handicap ou de 2007 pour la protection de l’enfance ont toutes validé et renforcé des approches particulièrement individualistes. Il s’agit de prendre en compte chaque situation, et de travailler à partir de projets, de contrats, d’objectifs «individualisés» (Boevé et Toussaint).
Et c’est dans ce contexte de recentrage incessant sur la gestion du «cas par cas», à partir , il est vrai de mesures et de procédures «de masse», que le mot d’ordre «d’empowerment» peut faire référence à une dimension perdue des métiers et des pratiques du côté des pratiques collectives.
Qui connaît l’évolution des pratiques de polyvalence de secteur sait bien qu’elles ne laissent quasiment plus de place pour quelque action collective que ce soit ; et il en est de même ne ce qui concerne les travailleurs sociaux de la CAF.
Le cas de l’ISIC
C’est d’ailleurs dans ce même contexte que la réforme du diplôme d’assistant social, en 2004 a jeté un grand trouble dans le secteur de formation et celui des employeurs. L’importance subite donnée au domaine ISIC (Intervention Sociale d’Intérêt Collectif), présentée sur le même plan et quasiment avec la même importance que celui de l’ISAP (Intervention Sociale d’Aide à al Personne) a posé de nombreux problèmes ; on cherchait en effet en vain sur quels terrains les futurs professionnels trouveraient à se former sur des pratiques introuvables.
De fait, la plupart des actions et dispositifs retenus sous «l’étiquette ISIC» se limitent bien souvent à des pratiques de rassemblement ou de regroupements d’individus engagés dans des dispositifs similaires. On va par exemple regrouper des «bénéficiaires» d’une mesure particulière comme le RSA , ou des parents d’enfants inscrits dans un dispositif particulier. C’est à dire que le collectif est ici envisagé depuis des mesures individuelles ; il est en quelque sorte «secondairement créé» en fonction d’une institution, d’une prestation ou d’une contractualisation.
Il est vraiment rarissime de rencontrer des actions éducatives et sociales réellement en contact avec des collectifs que l’on pourrait qualifier de «naturels» : habitants d’un même quartier, groupes basés sur la rencontre et la libre initiative.
Certes de nombreuses collectivités, mais aussi des centres sociaux multiplient des «groupes d’habitants» ou parfois plus spécifiques pour des «femmes», «parents» ou jeunes d’un quartier donné, mais le plus souvent on passe sous silence qu’il s’agit en premier lieu de groupes d’usagers de la structure, qui se spécialisent ensuite en fonction de la spécificité du groupe. Ce premier filtre «d’usage» est souvent pudiquement oublié et dans le langage courant, c’est à dire professionnel on parlera de «groupe d’habitants».
Les conseils de quartier que l’on retrouve régulièrement dans les quartiers populaires sont le plus souvent à initiative des municipalités qui cumulent à la fois leur initiative, leur définition, et leur contrôle. Ces assemblées sont en général constituées de personnes généralement bien connues et reconnues par les municipalités.
Dans certains cas, c’est le Maire lui même qui choisit les habitants de ces instances «représentatives» ; parfois c’est plus indirect, mais quoi qu’il en soit ces «instances» locales n’ont en général que le peu de pouvoir qu’on leur concède.
Reprenons l’analyse de l’évolution des pratiques référencées dans le cadre ISIC ; les ambitions qui avaient présidé à la mise en place de cette réforme de la formation, en 2004, et qui se basaient sur le diagnostic d’un déficit et d’un besoin de mettre en œuvre des actions sociales collectives (on s’appuyait à cette époque sur la référence dite «du Travail Social avec les groupes», proche du sens que l’on prête couramment à l’expression «développement du pouvoir d’agir») ont abouti à la création de groupes entièrement définis par l’institution qui les sollicite et dépendants de celle-ci (Boevé et Toussaint).
C’est donc à un renversement total des intentions initiales que nous assistons du côté des pratiques sociales.
Et du côté de l’empowerment ?
Nous pouvons très légitimement nous demander s’il n’en irait pas de même pour les actions que l’on qualifierait comme liées à des objectifs «d’empowerment». Sollicitées et souhaitées depuis les institutions et collectivités, ne risquent elles pas non plus d’aboutir à des pratiques sociales bien décevantes ? (Dababi et coll., 2012)
Nous touchons ici un paradoxe philosophique très ancien, qui avait déjà été analysé par Kant, dans sa « Critique de la Raison Pratique » :
On ne peut pas développer l’autonomie de l’extérieur ; et cela reste valable tant pour un individu que pour un groupe.
Il y a une contradiction totale entre le mouvement d’autonomie qui suppose une «endodétermination» et les pratiques d’aide, de soutien et de contrôle, «hétéronomes» qui créent de «l’exodétermination» (Kant Emmanuel, édition 2012).
Si le mot «empowerment» peut avoir un sens, celui ci ne peut être étranger à cette notion kantienne «d’endodétermination» :
Le véritable pouvoir, la véritable conscience sont produites, à l’intérieur et supposent un mouvement d’autonomisation, comparable à celui d’une rupture.
De ce fait, se donner comme objectif politique et social de développer «l’empowerment» est soit une gageure, soit un paradoxe qui nécessite des éclaircissements.
Un premier écueil consiste tout d’abord à ne pas confondre la question de l’empowerment et celle de la participation.
L’empowerment n’est pas participation, mais appropriation
Nos propres expériences sociales collectives et communautaires dans un cadre associatif (Ott Laurent, 2013) nous ont amené à adopter une attitude constante en matière d’initiatives collectives : il vaut toujours mieux, selon nous, que les acteurs s’autorisent par eux mêmes à agir plutôt que de rechercher au préalable des autorisations et légitimations, par définition toujours hasardeuses. Par ailleurs il est important de préciser que nos actions collectives, dans cette perspective sont par option ouvertes à tous les publics, les âges, sans aucune restriction ou prédéfinition.
Cette certitude a été acquise à partir du constat qu’il est toujours plus facilitateur d’inverser la charge de la preuve. Plutôt que de prouver la possibilité d’une chose, il est toujours plus simple de renvoyer la charge d’une preuve inverse à celui qui la croit impossible. Face au travail que toute preuve demande, face à la difficulté si commune d’aller au bout de ses croyances et de s’impliquer dans une réponse, nous avons constaté que ce mode de fonctionnement rend l’initiative sociale, nettement plus praticable.
C’est en agissant ainsi que notre association a pu mettre en œuvre de très nombreux ateliers éducatifs dans des espaces collectifs (privés et publics), mais aussi de véritables fêtes de quartier, ou des «cantines sauvages» (ateliers de cuisine «de masse»).
En effet, il en va de l’autorisation préalable, comme de la participation ; celle ci ne devrait pas être un dogme comme elle l’est aujourd’hui, au risque de n’être qu’une valeur incantatoire, qu’un volet obligé mais négligé, de tout projet, de toute action.
Si on attend de la participation, un assentiment préalable à ce qui n’est pas encore commencé ; si on se la représente comme un nécessaire recueil préalable des opinions initiales, des représentations de chaque acteur, … alors on milite pour un monde qui ne changera jamais (Ott, 2013).
La Pédagogie Freinet nous apprend que la pertinence des choix, des avis , des décisions et délibérations individuelles des «participants» à une action, ne devrait dépendre que de leur participation effective au travail de ce qui se fait.
Pas de décision sans action ; pas d’avis sans implication (Le Gal, Jean, 2006).
L’opinion des uns et des autres , si elle ne veut pas se réduire à des influences et stéréotypes, devrait toujours s’inscrire soit dans l’expérience de vie (ce que j’ai connu, ce que j’ai traversé, ce qui m’a touché, ce qui m’a impacté, modifié, transformé) , soit dans le « Travail » (l’effort de production, la confrontation à la matière, à la difficulté, à la durée, l’exigence de transformer une réalité ou environnement inhospitalier).
Si la participation n’est que représentation, délégation, consultation,… elle n’est rien, ou en tout cas rien de nouveau. Il y a peu de chance qu’il en ressorte quelque décision que ce soit de changer l’ordre des choses, ou une réalité sociale, injuste ou inacceptable.
Toute notre expérience en matière d’initiatives sociales et collectives, dans le champ de la Pédagogie Sociale (Ott, 2012) nous a amené à récuser le concept de «participation», pour affirmer à sa place celui «d’appropriation collective».
L’appropriation collective, vise à constituer un espace groupal partagé entre tous les acteurs concernés, quel que soit leur statut (professionnels, bénévoles, bénéficiaires, etc.).
L’appropriation dans cette perspective constitue le «geste inaugural» de la création d’un groupe, d’une forme de communauté effective, qui n’est pas «d’appartenance», mais «de destin». Cette communauté se constitue autour d’un domaine défini dès lors comme commun. Il ne s’agit plus au sein du groupe, de débattre de choses extérieures, mais de réalités dans lesquelles on s’implique.
C’est dans l’acte d’appropriation que se retrouve sans doute de la manière la plus claire et précise, cette notion de «pouvoir d’agir», comme «d’empowerment».
Ce pouvoir est avant tout un pouvoir qui se prend par un acte d’acquisition, d’implication et d’investissement d’un espace collectif.
Dans le cadre de l’association citée plus haut, il s’agit d’espaces publics et d’espaces collectifs. Mais bien entendu, le même mouvement peut et devrait aussi concerner tout autant des institutions telles que écoles, crèches, centres sociaux, maisons de quartier, etc.… Tous les lieux publics (non pas forcément publics de droit, mais publics par destination) peuvent faire l’objet d’une forme d’appropriation collective à la fois par leurs professionnels, leurs bénéficiaires (usagers), leurs bénévoles et volontaires.
En réalité cet acte d’appropriation a également pour propriété de rapprocher ces groupes et de leur permettre de se définir collectivement entre eux et unanimement entre eux comme «acteurs de ce lieu».
L’appropriation collective donne ainsi lieu à la création d’une identité collective, en lien avec le lieu, l’espace ou l’équipement collectivement «approprié».
Cette identité collective découle d’un processus d’identification qui a deux caractéristiques majeures :
– Considérer comme légitimes et à pied d’égalité l’intégralité des acteurs impliqués, qu’ils soient enfants, adultes, professionnels ou «usagers»,
– Considérer comme illégitime l’administration «par le haut» , qui peut s’opposer à ce mouvement d’appropriation, et qui échappe par définition au groupe constitué.
L’appropriation fonctionne comme «entrée» dans une identité collective et le point de création d’une communauté «d’usage», de «destin», qui pourra dès lors s’exprimer pour elle même et s’organiser (Ott, 2011).
Nous sommes évidemment dans cette perspective très loin des orientations les plus courantes en matière de «DPA», telles qu’on se les représente.
En effet, ce qui est recherché, au travers d’un processus d’appropriation/identification collective, ce n’est pas tant l’acquisition de compétences individuelles de participation, d’initiatives ou de gestion.
Il ne s’agit pas comme souvent en «action sociale collective», de mobiliser des individus qui seraient considérés d’une manière «négative», comme «peu actifs», «retranchés», «isolés», «inactif ».
Il ne s’agit pas de compenser des défaillances supposées, individuelles ou répandues dans une population donnée.
Il ne s’agit pas d’acquérir dans un temps donné des capacités qui seront utiles ultérieurement dans d’autres lieux et d’autres collectifs, mais au contraire de faire une expérience qui en quelque sort se suffit à elle même pour conférer du pouvoir d’agir, à ceux qui s’y engagent.
L’appropriation est dans cette perspective, à la fois une pédagogie et un but ; elle n’est ni une préparation, ni une acquisition mais une forme «d’action sociale directe».
Nous constatons la double difficulté d’un tel mode «d’empowerment» dans notre contexte sociétal, politique et institutionnel car il remet fondamentalement en cause deux conceptions majeures pour la vie sociale et citoyenne française :
– La question de la légitimité : le primat des institutions. Le développement du pouvoir d’agir, dans une perspective d’appropriation vient contrecarrer la vision traditionnelle du monopole de l’initiative sociale et éducative des institutions en place, qui est si fort en France.
– La notion de distance professionnelle : le fossé entre publics et professionnels. La pédagogie par appropriation suppose une alliance à établir entre professionnels et bénéficiaires. Ceci implique de lever les distances et séparations traditionnelles, constantes et même en augmentation dans les relations professionnels/usagers qui ont tellement cours.
La Pédagogie sociale : pédagogie de l’empowerment par appropriation.
La Pédagogie sociale est une pédagogie mise en œuvre par diverses organisations, dans de nombreux pays. Elle se revendique de l’œuvre et des théories de pédagogues célèbres comme Célestin Freinet (pour la France), Janusz Korczak et Helena Radlinska (pour la Pologne) et Paulo Freire, (pour le Brésil).
A la différence du courant de l’Éducation Nouvelle, la Pédagogie Sociale se présente dans l’œuvre de ses théoriciens, mais aussi dans les pratiques qui s’en inspirent, comme une «pédagogie de l’appropriation».
En tant que Pédagogie, la Pédagogie sociale se présente comme un espace de rencontres et de dialogues entre élaborations théoriques et applications pratiques. C’est un espace de réflexion et de recherche permanent en ce qui concerne la pratique, qui s’apparente assez bien à l’idée de «recherche action».
L’enseignant Freinet, en école publique, par exemple commence toujours son travail éducatif avec ses élèves, par l’instauration d’une « appropriation ». La classe, comme espace, mais aussi comme temps disponible est présentée comme appartenant au groupe lui même, précisément à tous et à chacun.
Il en est de même dans le espaces publics et dans les actions éducatives «hors institution» qui s’inspirent de ce courant ou plus spécifiquement encore du mouvement «de la capacitation», directement inspiré par la «Pédagogie de l’opprimé» d’un Paulo Freire.
En Pédagogie sociale, le mouvement d’appropriation se confond bel et bien et toujours avec celui de la fondation d’un groupe, ou plus précisément encore, d’une communauté.
En France, ce courant inspire différentes organisations qui vont d’associations fondées par des habitants et professionnels pour animer et transformer les espaces publics comme l’association Mme Ruetabaga à Grenoble, le GRPAS en Bretagne, ou l’association Terrain d’Entente à Saint Etienne, ou le mouvement Freinet (à travers son chantier permanent de « Pédagogie Sociale »). Même si elle ne se revendique pas de ce nom, du fait de la proximité de la démarche (décloisonnement et alliance entre professionnels, militants et bénéficiaires), et des actions (« bibliothèques de rue », universités populaires de rue) , on peut également ajouter ici l’œuvre d’ATD Quart Monde.
Alors que les volontés et désidératas de refonder les pratiques sociales du côté d’un développement du pouvoir d’agir se multiplient, il serait intéressant que les acteurs sociaux les plus concernés, les enseignants, les animateurs, les travailleurs sociaux, les acteurs de l’éducation populaire et les militants associatifs locaux se dotent réellement d’une doctrine à cet égard.
On ne saurait en effet réduire la question de l’empowerment à de simples techniques qui se répandent ici ou là (par exemple les pratiques de « Porteur de paroles » dans le milieu de l’éducation populaire) , et encore moins à un ensemble de recommandations et « bonnes pratiques « vertueuses », dans l’esprit ou la continuité de la loi de 2002-2 (création de comités d’usagers, de suivis, de consultation, d’évaluation , etc.).
On ne pourra pas ajouter une orientation de ce type à un ensemble de pratiques classiques et traditionnelles, comme un label «un supplément d’âme» ou une spécialisation ;
L’empowerment se base sur une «rupture» inaugurale avec les modes de fonctionnement classiques des institutions, et implique des changements fondamentaux dans la manière dont les acteurs sociaux peuvent envisager leur engagement, leur professionnalité et leur conscience politique.
Les formations susceptibles d’étayer un cheminement de ce type ne pourraient que difficilement ressortir de la formation initiale des professions impliquées. Comment en effet, pourrait on former à une doctrine qui prône le décloisonnement des secteurs(éducation populaire, enseignement, travail social, petite enfance) depuis les dispositifs cloisonnés de ces mêmes secteurs ?
La voie actuellement ouverte de développement d’une offre de formation sur la base du volontariat ouverte à tous les acteurs sociaux (professionnels ou volontaires), sur un mode coopératif ou «enseigné», constitue sans doute une perspective de formation plus en phase avec l’objectif d’empowerment lui-même.
Références
De Boevé Edwin et Toussaint Philippon, La place de l’action collective dans le travail social de rue, l’Harmattan, 2013.
Dababi et coll, Des lieux pour habiter le monde, chronique sociale, 2012.
Graven Jean Luc et coll., Pédagogie du développement social, Chronique sociale 2008.
Kant Emmanuel, Critique de la Raison pratique, PUF, quadrige, édition 2012.
Le Gal Jean, Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, les éditions libertaires, 2006.
Ott Laurent, Pédagogie Sociale, chronique sociale , 2011.
Ott Laurent, Travail Social, raisons d’agir, Eres, 2013.
Sites Internet
Association Intermèdes Robinson : http://assoc.intermedes.free.fr
Association MME RUETABAGA : http://www.mmeruetabaga.org
Association Terrain d’Entente : http://www.droits-sociaux.fr
Chantier de pédagogie sociale du mouvement Freinet : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche/adultes/results/taxonomy%3A217
GRPAS : http://www.gpas.infini.fr/v2/index.html