De la rigueur, de l’empathie et de l’optimisme !
Un texte de Jérôme Bar et Manu Bodinier, cofondateurs de l’association AequitaZ (sur le site de laquelle vous trouverez de nombreuses ressources), écrit en juillet 2016.
Le travail et la posture de Jérôme et Manu sont d’une grande inspiration pour moi. Dans ce texte, ils tentent de la mettre par écrit, et c’est inspirant pour toustes celles et ceux qui réfléchissent à leur posture, comme on devrait toustes le faire.
La féminisation, qui était peu d’usage en 2016, est de mon fait.
L’artisan·e partage une commune humanité. S’inscrire dans ce processus, c’est partager des histoires de vies et pas simplement des compétences. Iel doit être attentif au vécu de chacun·e. De plus, l’artisan·e est comme les autres êtres humains doué·e d’une clairvoyance limitée par son contexte et son histoire. Iel est lui·elle aussi soumis·e à des rapports de genre, de classe… Iel accepte donc comme les autres les principes relationnels du groupe tout en pouvant proposer comme les autres des modifications. Iel participe donc aux temps d’inclusion au même titre que chacun·e. Iel a un sens de la fête, son propre langage et sa perception de la situation (à partager plutôt qu’à imposer ou dissimuler).
L’artisan·e est optimiste. Comment créer et convaincre si on ne croit pas soi-même à la nécessité du changement ? Il faut développer une forme d’optimisme « âpre et vaillant ». Iel peut constituer l’étincelle du changement en étant attentif·attentive à ne pas remplacer une domination par une autre ou en veillant au libre arbitre de chacun·e. De par son expérience et sa posture, iel peut encourager le groupe dans des moments de lassitude, ouvrir des options inexplorées (« sortir d’une pensée en rond »), solliciter de nouvelles rencontres, aider à prévoir ou au contraire cibler un obstacle, être vigilant·e à la participation de chacun·e en évitant la prise en charge entière du changement (sauveur) ou la « police » de la pensée.
L’artisan·e est courageux·courageuse, c’est à dire qu’iel cultive l’art de naviguer à vue, en situation d’incertitude. Iel transmet au groupe la culture et le goût de se jeter à l’eau et de vivre des expériences qui font grandir (sans avoir une réelle maîtrise – on peut en avoir l’intuition – des résultats de ces expériences).
L’artisan·e est partie prenante de la situation. Iel ne peut s’en dégager. Iel n’est jamais extérieur à la situation. Si son vécu n’est pas similaire à celui ou celle qui peut en souffrir, iel ne peut dégager sa responsabilité en renvoyant à « l’autonomie » de la personne ou à sa propre condition professionnelle. C’est un « cœur mêlé » car iel est en empathie avec des personnes vivant des situations qui, si elles lui sont épargnées, provoque en lui·elle un profond sentiment de révolte.
L’artisan·e doit se défaire de ses propres enjeux (idéologiques, économiques, scientifiques, organisationnels ; sans les nier) pour pouvoir accueillir ceux des autres acteurs et actrices et négocier avec elles et eux. S’iel est payé·e, iel doit avoir conscience de la rigueur et du temps avec lequel iel doit exercer son rôle sans pour autant en faire un piédestal porteur d’une légitimité supplémentaire. Quand on est menuisier·e, on fabrique des meubles à temps plein ou parfois mieux que les autres, sans que cela veuille dire que les autres ne sachent pas le faire. L’artisan·e travaille à partir de l’information donnée par les personnes et leur perception du monde : « Ne sortez jamais du champ d’expérience de vos gens » (Saul Alinsky).
L’artisan·e évite deux écueils : être devant ou derrière les gens. Iel n’est pas leader·e et porte drapeau d’une part, et pas non plus un manipulateur ou une manipulatrice qui reste en arrière en envoyant ses troupes au combat. L’artisan·e doit être prêt à soutenir sans prescrire, à proposer sans conditionner, à vérifier explicitement l’adhésion des personnes aux propositions majoritaires sans rester dans un consensus apparent. Il s’agit d’être aux côtés de personnes marginalisées par l’inégalité d’accès aux ressources. Ni devant. Ni derrière.