Alors que, dans cette élection présidentielle, on assiste à un concours de personnalités pariant sur leur charisme personnel parfois plus que sur leur programme, Eric Fassin publie aux éditions Textuel « Populisme, le grand ressentiment ».
Un livre qui vient nous interroger sur les mécanismes mis en œuvre pour mobiliser « les masses ».
Les quelques extraits ci-dessous, nécessairement sortis de leur contexte, sont issus d’un interview de l’auteur dans l’émission radiophonique La suite dans les idées.
« Populisme » : utilisé longtemps pour stigmatiser la démagogie des mouvements d’extrême-droite. Aujourd’hui revendiqué depuis la gauche par des philosophe politiques plus que par des politiciens.
Est-ce pertinent théoriquement ? Est-ce judicieux politiquement ?
Populisme : prétendre parler à la place du peuple. Prétendre refléter le peuple. Prétendre être l’incarnation du peuple. Efface la nature même du travail politique, qui consiste à produire un peuple.
La constitution d’un Nous est fondée sur l’exclusion d’un Eux.
« Populisme » : mot pour disqualifier.
« Gauche – LePenisme » : mythe selon lequel les anciens électeurs PC seraient tous passés au FN.
En réalité (Nona Mayer, Florent Gougon) : « ouvriero-LePenisme ». Ce ne sont pas des gens de gauche qui ont basculé à l’extrême-droite, mais des gens qui étaient déjà à droite ou qui n’avaient pas d’affiliation antérieure.
On oublie toujours les abstentionnistes. Si on veut parler des classes populaires, la première chose à dire c’est qu’elles votent de moins en moins. Si on veut comprendre le vote populaire, il faut parler en même temps de l’abstention populaire.
On parle systématiquement des votes populaires à droite et à l’extrême-droite, en oubliant l’abstention.
Pose la question de à qui on s’adresse politiquement. Prioritairement à ceux qui ont basculés ou en sont venus à l’extrême-droite ? Prioritairement à ceux qui ont refusé de voter pour l’extrême-droite et ont préféré ne pas voter ? Deux stratégies radicalement différentes.
Disqualification parallèle par les commentateurs de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche.
Retournement du stigmate : oui, nous sommes populistes, mais de gauche ! (Ernesto Laclau et Chantal Mouffe)
Votes pour Trump et le Brexit
Explication souvent donnée : ce serait une manière de répondre au néolibéralisme. Les gens se tromperaient de solution en votant pour Trump ou pour le Brexit. Il suffirait de leur proposer une critique du néolibéralisme symétrique, sans la xénophobie. Il y aurait un fond commun qui serait la critique du néolibéralisme. C’est la position de Bernie Sanders.
Or aujourd’hui, les populistes de droite sont très clairement néolibéraux.
Aujourd’hui, le populisme, plus que l’adversaire, est surtout l’instrument du néolibéralisme. Le populisme ne peut donc pas être considéré comme une sorte de fond commun contre le néolibéralisme.
Un des traits communs du populisme : un discours anti-élites et anti-système.
Pourquoi avons-nous tendance à croire que les classes populaires ont voté Trump alors que ce n’est pas le cas ? Même chez les Blancs, ce n’est pas un vote populaire, mais un vote trans-classe.
Idée qu’il faudrait écouter la souffrance populaire (Jean-Claude Michéa, Laurent Bouvet, Christophe Guilluy). Posture condescendante à l’égard du peuple. Le peuple ne pense pas d’une seule voix, il est divisé politiquement.
Il y a un peuple qui souffre, mais les gens traduisent leur souffrance de façon différente.
– Ressentiment de l’extrême-droite
– Colère de l’extrême-gauche
– Dégoût de l’abstention (les plus nombreux)
Condescendance à penser que, les pauvres, ils sont condamnés au ressentiment.
Considérer que, comme tout le monde, ils font des choix politiques. Faire appel à un peuple de gauche et non pas à un peuple indifférencié qui finirait par être un peuple de droite.
Les pauvres ne sont pas forcément racistes.
Électeurs de Donald Trump : pourquoi les excuser ? Pourquoi masquer les raisons véritables de leur vote, qui renvoie au racisme ?
Populisme : masque la différence droite / gauche.
Considère que le fond commun serait un rejet du néolibéralisme. Considère que la différence porterait sur la xénophobie et le racisme.
Faux sur les deux points.
Le néolibéralisme aujourd’hui s’accommode très bien de la xénophobie. L’Europe néolibérale est une Europe forteresse. La xénophobie aujourd’hui est à la fois du côté du néolibéralisme et de celui du populisme de droite. Il faut penser une critique du néolibéralisme qui ne soit pas pour autant le ralliement à une vision xénophobe.
Quel est le bon clivage ? Eux / Nous ? Étrangers / Français ? 99% / 1% ? Dangereux clivages.
Réinstaller le seul clivage qui vaille en matière de politique, le seul qui permette de tenir à distance l’extrême-droite : le clivage droite / gauche.
Lequel est remis en question par le nouveau populisme du centre (Macron) qui vient à nouveau brouiller ce clivage droite / gauche, qui est pourtant le plus structurant pour faire vivre un espace public démocratique.
Mouvement populiste : le clivage eux / nous est premier par rapport au clivage droite / gauche, et il lui fait obstacle.
Gauche : difficulté à se penser positivement. Tendance à se définir « contre » eux. Populisme de gauche : dire ce que nous refusons avant de penser ce que nous choisissons.
Incompréhension des affects qui organisent la vie politique. Souffrance du peuple qu’il faudrait entendre :
– Refus de la penser politiquement : elle pourrait ne pas être du ressentiment
– On s’interdit de penser que ce ne sont pas toujours les mêmes affects
Aujourd’hui, il serait illusoire d’essayer de convertir le ressentiment d’extrême-droite en une indignation d’extrême-gauche.
La colère n’est pas la même chose que la rancoeur. Il est important de ne pas croire que, parce qu’il y a des émotions, toutes ces émotions sont les mêmes.
Le ressentiment : quelque chose contre quoi il faut lutter. Pas quelque chose qu’il faut utiliser, instrumentaliser. Aujourd’hui, le ressentiment est l’ennemi principal pour une politique de gauche.