Cet automne est sorti aux éditions La Découverte le livre « Le coup d’état citoyen – Ces initiatives qui réinventent la démocratie », écrit par Elisa Lewis et Romain Slitine. Il fait le tour d’un grand nombre d’expériences qui imaginent et mettent en pratique de nouvelles formes démocratiques, horizontales et égalitaires, alternatives à la démocratie représentative traditionnelle.
J’ai voulu lister ici les différentes expériences qui sont présentées dans le livre. Elles sont ici sorties de leur contexte : je ne peux que vous conseiller de lire le livre !
Le coup d’état citoyen
Ces initiatives qui réinventent la démocratie
Constat introductif : « Lors des élections européennes du 25 mai 2014, plus d’un électeur sur deux en France ne s’est pas rendu aux urnes. Et, pour la première fois, le Front national est arrivé en tête d’une élection nationale. Les élections municipales de mars 2014 avaient déjà annoncé la couleur avec onze ville sous la coupe de l’extrême droite. »
1 – L’ « an 1 » de la démocratie
La fin d’une ère
« Ils ne nous représentent pas »
15 mai 2011 : Espagne
Puerta del Sol à Madrid
15 de Mayo, 15M
Printemps 2011 : Grèce
Place Syntagma à Athène
17 septembre 2011 : Etats-Unis
Occupy, Zuccotti Park à Manhattan : « Liberty Plazza »
15 octobre 2011 : journée mondiale des Indignés
Septembre-octobre 2014, Hong-Kong
Révolution des parapluies
Mars 2016 : Nuit Debout en France
Ce qui est dénoncé :
– La professionnalisation de la politique
– La technocratisation de l’Europe (Troïka : Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international)
– L’abandon d’une classe politique inféodée aux pouvoirs de l’argent
Forme :
– Chacun est encouragé à s’exprimer, et la valeur de tous les points de vue est reconnue : l’autorité des arguments n’est pas liée au statut des gens
– Pour faciliter le débat et l’écoute bienveillante, les interruptions orales sont interdites pendant que quelqu’un s’exprime, et les participants manifestent leur accord ou désaccord par une série de gestes silencieux
– Les assemblées n’ont pas de président ni de porte-parole officiels
Le mythe démocratique
Bernard Manin : « Les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie »
Le peuple ne serait pas suffisamment éclairé pour se gouverner lui-même. Il fallait confier la gestion des affaires publiques à des individus spécialement choisis pour cela et pouvant y dédier le temps nécessaire. Application de la division du travail à la politique. Élite éclairée. Aristocratie élective.
Nous vénérons les élections comme si elles étaient la condition nécessaire et suffisante du bon fonctionnement de la démocratie.
Une crise qui n’en finit plus
Taux d’abstention records.
Déconnexion des élites.
2005 : référendum sur le Traité constitutionnel européen : 55% de « non » en France.
2007 : Traité de Lisbonne : approuvé par 92% des représentants au Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis).
Défiance généralisée.
Montée de l’extrême droite : Aube Dorée en Grèce, NPD en Allemagne, Jobbik en Hongrie, Autriche, Front national en France…
Début 2016, 47% des Français estimaient qu’avoir un « homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections » serait une bonne forme de gouvernement pour la France.
Par ailleurs, 59% des Français seraient d’accord pour que « ce soient des experts et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays ».
Le réveil démocratique
Edwy Plenel : « Limiter la question démocratique française à la question institutionnelle, c’est l’appauvrir et, déjà, la confisquer – affaire de spécialistes, de professionnels, d’experts patentés ».
Dépasser les élections
Sortir de l’ornière qui consiste à considérer que l’acte de vote est l’instrument ultime de la participation à la vie politique et le seul acte civique d’importance.
Dominique Rousseau : aller vers une « démocratie continue », où le pouvoir du citoyen « est permanent et s’inscrit dans la durée qui sépare deux moments électoraux ».
Mettre la démocratie à jour
Expériences :
– Collectif Démocratie ouverte
– Personal Democracy Forum France
– Forum pour une démocratie directe moderne
– Forum mondial de la démocratie – Partenariat pour un gouvernement ouvert (open government partnership)
Modèles collaboratifs qui bouleversent des pans entiers de la société et de l’économie :
– La consommation : couchsurfing, covoiturage
– Les modes de vie : coworking, colocation, habitat participatif
– La finance : crowdfunding, monnaies locales
– L’éducation et le partage des connaissances : Wikipedia, mooc (massive open online course)
– L’alimentation : circuits courts, jardins partagés
– La production : fab labs, mouvement du « do it yourself »
Échanges de pair à pair, qui effacent la frontière entre consommateur et producteur, et rendent obsolète la présence d’une autorité centrale. Remettent en question la traditionnelle « division du travail » entre représentants et représentés.
Civic techs : projets numériques qui déploient de nouveaux outils pour accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique ou rendre le gouvernement plus transparent et collaboratif.
2 – Des idées et du sang neuf en politique
Les partis politiques ne sont apparus qu’après les années 1850.
Grâce à un important réseau d’organismes intermédiaires, tels que les syndicats, les caisses d’assurance maladie et même leur propre média attitré, « les partis constituèrent un puissant outil de coagulation des valeurs et des intérêts présents dans la société et […] la médiation privilégiée entre le champ politique et le reste de la société » (Yves Sintomer).
Recentrés sur une logique de conquête du pouvoir à court terme, ils ont fini par perdre leur fonction de creuset des réflexions sur l’avenir du pays et d’école de la pensée.
Podemos : retrouver le goût de la politique
Mouvement politique officiellement lancé le 17 janvier 2014.
De l’indignation à l’action
« Convertir l’indignation en changement politique » (manifeste du parti)
– Janvier 2014 : durant les 20 premiers jours de son existence, le jeune parti réussit à mobiliser plus de 100000 membres, devenant le troisième parti d’Espagne en nombre d’adhérents.
– Mai 2014 : cinq sièges de parlementaires aux élections européennes
– Mars 2015 : quinze conseillers régionaux aux élections régionales anticipées en Andalousie
– Mai 2015 : aux municipales, victoire des listes d’ « unité populaire » soutenues par Podemos dans de nombreuses villes, dont Madrid (Ahora Madrid), Barcelone (Barcelona en comu), Saragosse (Zaragoza en comun).
De nouveaux espaces d’engagement
Mobiliser des citoyens très différents, leur redonner espoir dans la politique.
Circulos : cercles de sympathisants du mouvement.
Aboutir à des décisions.
L’objectif n’est pas de débattre d’une multitude de thèmes ou des règles du débat, mai de se centrer sur la question de comment remporter la bataille dans les urnes.
Outils :
– Loomio
– Forum PlazaPodemos
– Application Appgree
LaboDemo : organisation indépendante qui milite pour l’expérimentation des outils numériques de participation
Des programmes collaboratifs
Gagner la bataille des idées
Pour Antonio Gramsci, la bataille politique est avant tout culturelle et idéologique.
Proposer des mots neufs dans le débat politique, afin de défendre des idées novatrices.
Effort de « traduction » du discours traditionnel de la gauche.
Podemos ne se positionne pas sur l’axe droite / gauche, mais préfère l’opposition entre le « neuf » et le « vieux ». Il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut, une élite et la majorité.
Il s’agit d’imposer, dans le débat, des « cadres d’identification populaire » si forts qu’ils permettent à Podemos de devenir incontournable, « transversal ».
Pablo Iglesias : « Nous avons fait tout ce que la gauche disait qu’il ne fallait pas faire ».
Une nouvelle éthique politique
L’ensemble de la comptabilité du parti est accessible à tous en temps réel.
Refus de se financer par les crédits bancaires.
Système de crowdfunding (dons en financement participatif) et de microcrédit (prêt).
Limitation de la rémunération maximale des élus à trois fois le salaire minimum espagnol, soit environ 2000 euros.
Limites
Pablo Iglesias, secrétaire général du parti, est devenu un véritable « chef charismatique », fortement médiatisé avec une équipe autour de lui qui tient les rênes du parti.
Début de tendance à la centralisation des décisions.
Professionnalisation progressive pour répondre à la nécessité de gagner les batailles électorales et gagner en efficacité.
Ouvrir les portes de la politique à tous
L’émergence des « partis citoyens »
2014 : Le Rassemblement citoyen, fondé par Corinne Lepage.
2015 : Bleu Blanc Zèbres, impulsé par Alexandre Jardin.
2013 : Nous Citoyens, créé par Denis Payre.
LaPrimaire.org : un candidat indépendant pour l’élection présidentielle
Permettre aux Français de choisir librement et directement, sans passer par les partis politiques, les candidats qu’ils souhaitent voir se présenter à l’élection présidentielle de 2017.
« LaPrimaire.org est un outil. Nous ne sommes pas un parti, et nous n’avons pas de programme ».
Une application très simple, téléchargeable sur n’importe quel téléphone mobile.
Exemple de personnes plebiscitées : Frédéric Lordon, François Ruffin, Pierre Rabhi, Nicolas Hulot, Alin Juppé, François Fillon, Christiane Taubira, Emmanuel Macron.
Mais chaque citoyen peut choisir d’être votant ou lui-même candidat : pour se présenter, il suffit de recueillir en ligne 500 soutiens citoyens et d’entrer son programme en ligne.
À la clé : un « kit présidentiable ». Il s’agit de proposer au candidat final les conditions et moyens nécessaires pour faire une campagne d’égal à égal avec les autres candidats.
Le futur candidat bénéficiera aussi d’un accompagnement opérationnel pour lancer sa propre formation politique.
Ma Voix : faire élire des anonymes à l’Assemblée nationale
Forme d’actualisation de l’idéal de la démocratie athénienne.
Selon Aristote, « le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté […]. Une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant ».
« Tout Athénien qui le désire parmi ceux qui en ont le droit »
Ma Voix n’a ni étiquette ni idéologie politique prédéfinie. Car, selon les membres du mouvement, la définition en amont de lignes programmatiques fige le débat.
Ma Voix réunit des gens dont le principal point commun est la volonté d’expérimenter de nouveaux mécanismes démocratiques.
Les élus auront pour mission de suivre exactement les décisions de leurs électeurs, comme le fait le Partido de la Red (cf. ci-dessous).
Avril 2016 : législatives partielles de Strasbourg. Le candidat de Ma Voix a obtenu 4,25% des voix.
Pour « recruter » le candidat à la législative, Ma Voix a diffusé une « petite annonce » sur les réseaux sociaux afin d’inviter tous les volontaires à présenter leur candidature pour devenir député.
Chaque candidat a suivi une formation pour découvrir le fonctionnement de l’Assemblée nationale, des commissions, les étapes de la fabrication de la loi, l’histoire de la Constitution, etc.
Le candidat officiel est ensuite tiré au sort parmi ces candidats.
« Hacker » le système
Importance symbolique de l’expérimentation : « Ce qui compte pour nous, ce n’est pas la destination : c’est le chemin ».
Changer le logiciel de la représentation
Le Partido de la Red : un cheval de Troie au Parlement
Août 2013, Buenos Aires
Partido de la Red (parti du réseau), créé par les fondateurs du logiciel open source d’écriture collaborative des lois Democracy OS. « Pirater le système »
Les potentiels élus n’auront pas de programme, mais s’engagent à respecter une règle : appliquer en permanence la volonté directe de leurs électeurs en votant systématiquement en fonction de la préférence des citoyens exprimée sur la plateforme Democracy OS.
En pratique, cela suppose d’organiser une consultation populaire systématique en amont de chaque décision sur lesquelles seront amenés à se prononcer les élus du parti.
Mandat impératif
À part pendant une courte période lors de la Commune de Paris en 1871, il n’a jamais été mis en place en France.
Le Parti pirate : un parti « poil à gratter »
Mouvement mondial amorcé en Suède en 2006.
La question du numérique est au centre de son projet.
Trois principes fondamentaux :
– La protection des droits (et données personnelles) des citoyens
– La libération de la culture
– La conviction que les brevets et monopoles sont nuisibles au fonctionnement de notre société
Juin 2009 : 7,1% des voix au scrutin européen en Suède
Septembre 2011 : près de 9% des voix aux élections régionales à Berlin
2014 : Julia Reda est élue au Parlement européen en Allemagne
Automne 2016 : étaient donnés favoris pour les élections législatives en Islande
La démocratie liquide : une innovation politique
La démocratie liquide (ou « Proxy Voting ») désigne un processus démocratique dans lequel la plupart des questions doivent être tranchées par voix référendaire.
Chaque citoyen peut déléguer par procuration son vote à un autre citoyen de confiance (un « proxy »), sur une question ponctuellement ou une thématique générale.
La démocratie liquide se situe donc entre la démocratie directe (où les citoyens sont appelés à s’exprimer directement sur tous les sujets) et la démocratie représentative (où les citoyens doivent s’en remettre pendant plusieurs années aux décisions prises pour eux par ceux qui sont élus).
La démocratie liquide se fonde sur un réseau de relation de confiance et sur le principe de délégation provisoire.
Elle permet l’émergence de nouveaux leaderships et tente de créer une chaîne de confiance distribuée et horizontale.
Un outil particulièrement puissant d’intelligence collective.
Outils numériques :
– Liquid Feedback
– Blockchain : technologie de stockage de données distribuées et sans intermédiaire (déjà utilisée par la monnaie et le système de paiement en ligne Bitcoin)
Quelques écueils :
– Le système permet à certains acteurs de récolter une quantité non négligeable de votes (les proxys) grâce à leurs compétences techniques ou à un capital culturel élevé
– Il existe toujours un « fossé digital » qui risque de favoriser l’émergence de nouvelles formes d’ « oligarchies hyper connectées » avec des individus qui exercent leur influence en fonction de leur capacité de réseautage (networking).
– Comment gérer les possibles dérives de corruption (achat de votes, domination, menaces, chantage, etc.) non pas de quelques centaines de représentants, mais potentiellement de milliers de délégués distribués dans tout le réseau ?
3 – Quand les citoyens font la loi
Le peuple, infantilisé, jugé incapable de connaître ce qui est bon pour lui, prisonnier de ses humeurs et de ses peurs, est délibérément écarté.
Prendre l’initiative des lois
En France, à peine 5 à 10% des lois (selon les estimations) sont issues de propositions par les parlementaires (propositions de loi). Toutes les autres sont issues du gouvernement (projets de loi).
La Suisse : pionnière du référendum d’initiative populaire
Depuis 1848, possibilité pour le peuple suisse de déclencher un « référendum d’initiative populaire » pour modifier la Constitution, à condition de réunir au moins 100000 soutiens.
Par ailleurs, les Suisses bénéficient aussi d’un droit de veto afin de contrôler, corriger ou abroger certains textes que le Parlement vient d’adopter (mais qui ne sont pas encore entrés en vigueur).Les électeurs peuvent déclencher un « référendum facultatif » pour faire rejeter n’importe quelle loi fédérale, à condition de réunir 50000 signatures (1% du corps électoral).
Deux exemples :
Le sujet de l’écologie est arrivé dans le débat politique suisse par l’intermédiaire d’initiatives populaires. En 1990, 54% des votants se prononcent en faveur d’une « halte à la construction de centrales nucléaires », qui s’est traduite par un moratoire de dix ans.
En 2009, les Suisses ont voté l’interdiction de construire des minarets (à 57,5%, avec un taux d’abstention de plus de 46%).
Dans les moments de troubles ou de violentes émotions collectives, il peut exister un risque liberticide, notamment envers les minorités, et une tendance au repli.
En Finlande : la plateforme Open Ministry pour démocratiser l’initiative citoyenne
Saisir directement le Parlement pour proposer une loi ou soumettre des suggestions d’ordre général.
Coécrire les lois
Écriture collaborative = crowdsourcing
Democracy OS : le logiciel open source d’écriture des lois
2012, Argentine
Ouvrir un canal de discussion sur les lois en cours, faciliter la délibération et le consensus, voter en ligne.
Interface d’intelligence collective.
Recréer l’agora de la Grèce antique sur Internet, afin de permettre à tous de débattre de manière collective et efficace sur toutes les lois en cours.
Novembre 2014 : l’équipe de Democracy OS a réussi à convaincre le président du Congrès de Buenos Aires (l’équivalent d’un Parlement local) d’utiliser Democracy OS en amont de 3 propositions de loi afin de consulter largement les habitants sur les orientations à prendre.
Comme elle est en open source, la plateforme a l’avantage d’être facilement adaptable dans tous les pays. Elle a déjà été traduite en 15 langues et commence à être utilisée largement :
– Parlement kényan
– Gouvernement fédéral mexicain
– Ville de Nanterre
– Taiwan : g0v.tw, plateforme de « e-ruling »
– Tunisie : vote.it.org
– Europe : projet D-Cent
Parlement et citoyens : rechercher ensemble des solutions aux problèmes du pays
En France, depuis 2012 : parlement-et-citoyens.fr.
Juin 2016 : 10000 contributions, 85000 votes, plus de 23000 membres. Près de 30 parlementaires ont rejoint la communauté, et le site comptabilise à son actif 10 propositions de lois déposées par des parlementaires de différents bords.
Startup Cap Collectif : diffuse l’usage de cette technologie et de la méthode.
Cette approche peut renforcer au final le rôle et l’action des élus, et être pour eux une nouvelle source de légitimité.
Retrouver le peuple législateur
« On ne demande pas à une dinde de préparer le repas de Noël », comme disent les Canadiens. Les institutions sont souvent incapables de se réformer elles-mêmes.
Les assemblées législatives de citoyens ordinaires : un retour aux sources de la démocratie
Comme dans l’Athènes classique : confier la responsabilité d’élaborer les normes à des citoyens ordinaires, le plus souvent tirés au sort.
À Athènes :
– L’Ecclésia : Assemblée du peuple, composée de 40000 citoyens (en étaient exclus les « métèques » et les femmes), dont en général 6000 assistaient aux réunions
– La Boulè : Conseil qui rédige les lois soumises à l’Ecclésia. 500 citoyens tirés au sort pour un an
– L’Héliée : étudie la légalité des textes, citoyens tirés au sort
Intérêts :
– Éviter la concentration des pouvoirs et les querelles politiciennes
– Stimuler la conscience politique et le sens des responsabilités des citoyens ordinaires
Entre 2004 et 2007, réformes de lois électorales réalisées par des citoyens tirés au sort : en Colombie-Britannique et en Ontario (Canada), aux Pays-Bas.
Néanmoins, malgré l’intérêt des propositions formulées, elles ont échoué dans les 3 cas à être adoptées par référendum par la population. En grande partie parce que la délibération s’était passée à huis-clos loin de l’opinion publique.
Deux expériences récentes ont véritablement changé la donne :
– Écriture d’une nouvelle Constitution en Islande à partir de 2010
– Réforme du fonctionnement des partis et de la participation des citoyens à la vie politique en Estonie en 2013
Une Constitution citoyenne 2.0 en Islande
[Tout le processus est décrit dans le livre]
Comment le peuple estonien a changé les règles de la politique
[Idem]
Généraliser les assemblées de citoyens tirées au sort
Le défi est avant tout culturel : considérer le tirage au sort comme une procédure démocratique crédible.
Toutes les expériences vont à rebours de toutes les idées reçues qui dénoncent l’incompétence, l’égoïsme, l’irrationalité ou l’incapacité des citoyens pour se prononcer sur des problématiques complexes d’intérêt général.
4 – Le contre-lobby citoyen
« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […]. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XI, chapitre IV
La « contre-démocratie » selon Pierre Rosanvallon : « Cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie ; c’est plutôt la forme de démocratie qui contrarie l’autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale. »
Lutter pour la transparence
La possibilité pour chacun de faire des choix éclairés et de se forger une opinion sur les actions entreprises par les gouvernants.
Installer une régime de responsabilité et de redevabilité des décideurs vis-à-vis des citoyens.
Des médias citoyens
Partager largement les informations qui fondent la décision publique, révéler au grand jour les ficelles du pouvoir et diffuser une information plurielle, diversifiée et de qualité.
« Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe de suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s’appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre ». Victor Hugo
La presse, en théorie, constitue un moyen de contrôle démocratique, de contestation et de contre-expertise face au gouvernement.
Propriétaires de médias :
– Groupe Lagardère : Virgin radio, Europe 1, RFM…, Gulli, Canal J, MCM, Paris Match, Le Journal du dimanche…
– Martin Bouygues et sa famille : TF1, LCI
– Serge Dassault : Le Figaro, Valeurs actuelles
– Xavier Niel (fondateur de Free), et ses partenaires Pierre Bergé et Matthieu Pigasse : Le Monde, Télérama, Courrier international, L’Obs, Rue89…
– Patrick Drahi (propriétaire de SFR) : Libération, L’Express, L’Expansion
– Vincent Bolloré : Canal +, ITélé, D8, D17…
– François-Henri Pinault : Le Point
Médias indépendants : Le Canard enchaîné, Charlie Hebdo, Marianne, Politis, Alternatives économiques (constitué en SCOP), Médiapart, et quelques autres.
La plupart des médias sont détenus par des géants de l’armement, des télécoms, du luxe ou encore de la construction, pour qui ils ne constituent certainement pas une source de revenus… mais un outil d’influence.
Concentration du pouvoir médiatique.
Censure et auto-censure des journalistes.
Donner l’alerte
Quelques lanceurs d’alerte :
– Docteur Irène Frachon : scandale du Mediator en 2009
– Julian Assange, Wikileaks : publication de documents confidentiels en 2012 (guerre en Irak, corruption…)
– Edward Snowden, NSA : scandale de l’espionnage mondial des communications électroniques par les États-Unis, en 2013
– 2016 : Affaire des Panama Papers
Ceux qui ont la mission de protéger l’intérêt général le font le moins bien, ou privatisent l’exercice du pouvoir à leur profit.
Ce grand écart est le gisement de tous les populismes et d’un désenchantement général.
Ouvrir les données
Open data : libération des données.
Interroger les conditions d’appropriation de ces informations.
La vigie citoyenne
Contrôler l’action des représentants
L’indice de Transparency International qui classe les pays en fonction du degré de corruption perçue place la France en 23ème position, derrière l’Uruguay ou encore le Qatar.
Collectif Regards citoyens :
– NosDéputés.fr
– NosSénateurs.fr
– Questionnez-vos-élus
– LaFabriqueDeLaLoi.fr
Tunisie : association Al-bawsala (la boussole)
Réveiller l’expertise citoyenne
Sites pour consulter les budgets et finances publiques :
– NosFinancesLocales.fr
– NosDonnées.fr
Datajournalisme, raconter des faits ou des situations complexes avec des graphiques et explications clairs :
– Les décodeurs (sur le site du journal Le Monde)
– DataMatch
– DataBlog du quotidien britannique The Guardian
Autres :
– Discours spectaculaires de Hans Rosling sur la pauvreté mondiale : Gapminder
– Travail de David McCandless sur la contextualisation des dépenses publiques : Information is beautiful
Citoyens capteurs : démarches participatives qui placent les individus au centre de la mesure environnementale. Déployer un réseau social de mesures de pollution à l’endroit où chacun vit et respire, afin de compléter et de vérifier les mesures officielles.
Exemple : dispositif Safecast, né au Japon après la catastrophe de Fukushima en 2011.
Révéler le lobbying au grand jour
30000 lobbyistes à Bruxelles, soit autant que le nombre de fonctionnaires de la Commission européenne.
Le problème vient de la débauche des moyens utilisés par certains lobbys pour faire passer leurs idées + leur opacité.
Concernant la loi relative à la protection des données des citoyens européens, plusieurs députés ont repris tels quels les arguments d’Ebay ou d’Amazon.
Outils :
– Transparency International : plateforme Integrity Watch France
– Lobby Cal
– Groupe de rechercher Corporate Europe Observatory
– Lobbyplag
– Opensecrets.org
– Agircontrelacorruption.fr
Faire entendre sa voix
Mieux comprendre pour agir
Outils :
– Chaine YouTube Accropolis
– Journal en ligne Le Drenche
– Association Voxe, application What the voxe
Protester en ligne
« hacktivisme politique » plus spontané, qui se constitue en dehors des circuits traditionnels du militantisme syndical, politique et des ONG. Manifestations spontanées de personnes se positionnant sur un axe « inside / outside » et non plus « droite / gauche ».
Outils :
– Avaaz
– MesOpinions
– Change.org
Réalisme politique :
– Les campagnes doivent être assez importantes pour avoir du sens et être mobilisatrices
– En même temps être suffisamment modestes pour être « gagnables »
– Chaque pétition est lancée à partir d’une histoire ou d’un engagement personnel, et concerne des causes accessibles qui touchent les gens au quotidien
Mars 2016 : la pétition contre la loi travail a réuni 1,3 million de signataires, un record en France jusqu’à présent.
Février 2016 : une pétition permet de faire pression et d’aboutir à une loi contre le gaspillage alimentaire, un sujet sur lequel les parlementaires avaient jusque-là échoué sous l’influence des lobbys de l’agroalimentaire.
Mars 2016 : la pétition contre la loi en eau profonde, qui a réuni près de 900000 signatures sous la houlette de l’association de défense de l’environnement Bloom, n’a pas pu rivaliser avec la menace de blocage des ports bretons par les pêcheurs.
Avril 2016 : la pétition de la journaliste d’investigation Elise Lucet contre le secret des affaires, qui a réuni 600000 signatures, n’a pas empêché le Parlement européen de voter la directive protégeant le « secret des affaires ».
Réussir à peser quand on est exclu du système
« La démocratie est l’égale possibilité pour chacun d’influer la décision ».
Robert Dahl
Contexte d’éclatement des classes populaires et d’affaiblissement de leurs possibilités d’expression et de mobilisation.
Community organizing : le pouvoir des gens qui n’en ont pas, c’est leur nombre.
– Sortir d’une forme d’isolement
– Identifier des revendications collectives
– Faciliter le passage à l’action collective
– Efficacité : cible / stratégie / rapport de force
Démocratie d’interpellation : un des contreforts essentiels de la démocratie, à côté de la représentation et de la participation.
Septembre 2014 : Coordination nationale « Pas sans nous« .
Mobilisation pour la constitution d’un fonds pour le droit d’interpellation citoyenne.
Le numérique à la rescousse des « sans voix »
MeuRio, au Brésil
Changer radicalement le cout d’entrée de la mobilisation politique
Ce n’est pas la technologie qui nous sauvera, mais bien une modification profonde des rapports de forces et des mécanismes du pouvoir politique.
5 – (Re)prendre le pouvoir sur son territoire
« Être humain, c’est précisément être responsable. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. »
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, 1972
Décider des orientations de son territoire
Conseils de quartier : depuis la loi de 2002 dans les villes de plus de 80000 habitants.
Conseils citoyens : dans tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville depuis la loi de 2014
Conseils de développement
…
1995 : création de la Commission nationale du débat public
Offre institutionnelle de participation, octroyée par le haut.
« Technocratie de la participation », trop souvent sans véritable vision politique ni remise en cause de l’équilibre des rapports de force.
« J’en veux à ceux qui ont laissé croire qu’il suffisait de réunir des gens et de remplir des cahiers de doléances pour faire de la démocratie participative. C’est l’opposé de ce qu’est la participation, qui ne peut s’inscrire que dans un principe de responsabilité des acteurs ». JF Caron, maire de Loos-en-Gohelle.
Paris : tenir les cordons de la bourse
Fin des années 1990, à Porto Alegre (Bresil) : dispositif de contrôle populaire du budget d’investissement municipal.
On estime qu’aujourd’hui ce dispositif est présent dans environs 2800 municipalités dans le monde.
Budgets participatifs de la ville de Paris : 5% du budget d’investissement.
Le risque est de tomber dans un « gadget participatif » répondant principalement à une opération de communication politique.
« Il manque souvent aux expériences [françaises] l’ambition égalitaire et redistributive qui caractérise certains exemples latino-américains. » Loïc Blondiaux
Grenoble : inventer de nouveaux mécanismes de démocratie locale
Budget participatif (800000 euros en 2016)
Conseils citoyens indépendants
Dispositif d’interpellation et votation citoyenne
Madrid : parier sur le numérique pour gouverner autrement
Plateforme en ligne decide.madrid.es :
– L’ensemble des données produites par l’administration madrilène
– Un budget participatif (60 millions d’euros en 2016)
– Un espace de débat ouvert à tous
Saillans : une expérience démocratique
Développement d’une culture de citoyenneté active.
À l’instar de Marinaleda, village autogéré en Andalousie depuis 40 ans, de Trémargat en Bretagne, qui explore des manières de vivre alternatives, ou de la petite ville de Loos-en-Gohelle dans le Nord-Pas-de-Calais, véritable laboratoire de la transition écologique, certains territoires en France et dans le monde font office de « poches de créativité où s’invente un monde meilleur.
Utopies concrètes
Saillans, 1250 habitants.
Depuis 2010, font l’expérience concrète de la démocratie au quotidien.
Les citoyens à l’assaut de la mairie
Liste collégiale et citoyenne aux élections municipales de 2014.
Méthodes d’éducation populaire.
S’autoriser à rêver.
57% de votes en sa faveur, et une participation de 80%
Une nouvelle pratique du pouvoir
Trois idées fortes :
– La transparence et l’accès de tous à l’information
– La collégialité au sein de l’équipe municipale pour éviter que le maire et le premier adjoint n’accaparent le pouvoir
– La participation des citoyens à la gestion de la commune
Garde-fous pour résister à l’isolement et à la personnalisation du pouvoir, et pour rester proches des gens :
– La collégialité
– La limitation de la rémunération des élus
– Le fonctionnement en binômes des élus
Gouverner en « circuit court »
Nous replaçons l’élu dans une posture d’humilité : c’est d’abord quelqu’un qui écoute les besoins des habitants et qui travaille sur la base de leurs attentes, et non pas une personne qui décide des projets à partir de ses propres représentations.
Vision différente de la construction de l’intérêt général.
« La démocratie prend du temps. On avance plus doucement, mais avec beaucoup plus d’intelligence. »
« Ce qui nous intéresse, c’est le processus. »
Écueils :
– Le village, dont les pratiques politiques dérangent les barons locaux, est ostracisé dans la vallée. Or de nombreuses décisions se prennent au niveau de l’intercommunalité.
– Après 2 ans de mandat, les élus sont épuisés, croulent sous les mails et enchaînent les réunions.
Démarche d’empowerment collectif : tout le monde monte en compétences.
Les acteurs de Saillans reçoivent environ une sollicitation par jour d’étudiants, d’élus déçus qui sont un peu perdus, de collectifs de citoyens, de journalistes, etc.
L’objectif maintenant : « faire mouvement ».
Outils pour accompagner le mouvement
La Belle Démocratie
Ouiville
Civocracy
Territoires hautement citoyens
Devenir contributeur de son territoire
Vers l’administration publique collaborative
Laboratoires d’innovation publique :
– L’association La 27ème région
– Le Mindlab à Copenhague
– L’Helsinki Design Lab
– Le Laboratorio para la Ciudad à Mexico
– Le Laboratorio de Gobierno au Chili
– Le Sharing Seoul Project
Innover au service de l’intérêt général
Les Colibris, Alternatiba : principe que le changement personnel est bien souvent au cœur des transformations collectives et sociétales.
Mouvement Terre de Liens : favoriser l’installation de personnes portant un projet d’agriculture biologique et paysanne.
La terre n’appartient à personne : elle est retransmise à d’autres jeunes, de génération en génération.
Enercoop : premier fournisseur français d’électricité 100% renouvelable. Réseau décentralisé de 10 coopératives régionales.
23000 clients, dont environ 60% s’impliquent dans la gouvernance, sur le principe 1 personne = 1 voix.
Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE)
Gérer les communs
Les nouveaux communs bousculent à la fois le monopole économique dominant fondé sur la propriété, et la tradition politique du monopole de l’intérêt général par la puissance publique.
L’espoir démocratique
La subversion du système verrouillé et vertical que nous connaissons est déjà en cours.
Passage d’une démocratie de la délégation à une démocratie de l’action.
Réussir à « faire système » et ne pas se laisser enfermer dans une « démocratie de laboratoire ». Le risque est de multiplier les expérimentations qui ne sont pas portées par une vision politique de transformation du monde.
Il ne faut pas sous-estimer la force de résistance du système actuel.
Merci pour cette synthèse. Oui il faut lire ce livre. J’aurai dû le demander et l’offrir à Noël pour commencer à le diffuser.
La conclusion est importante. Il y a un vrai risque à procéder de manière itérative à l’échelle nationale et (on peut rêver) européenne. Il faut continuer à reglechir ensemble à ça.
Très belles fêtes
Anne Gaël