Les UPP (Universités populaires de parents) sont des groupes de parents, la plupart des quartiers populaires, qui mènent une recherche sur un thème lié à la parentalité avec l’aide d’un universitaire. Permettre à des parents, la plupart sans diplôme, de mener une recherche avec une méthode scientifique est en soi un pari ambitieux. Mais l’enjeu est aussi et surtout de qualifier, par cette recherche, leur savoir individuel et collectif pour en faire un outil de leur reconnaissance dans le territoire. Car la finalité des UPP réside dans un croisement de logiques parents-institutions-élus et dans la construction d’un dialogue entre parents et institutions.
Je reproduis ici l’introduction à l’ouvrage « Voix et regards de parents sur l’éducation – Synthèse des travaux de recherche des Universités populaires de parents », une publication de l’ACEPP en 2018 : elle permet de comprendre les grands traits et les ambitions des UPP.
C’est au début des années 2000 qu’est née l’idée de créer des UPP [Universités Populaires de Parents]. Période pendant laquelle l’idée d’accompagner les parents était à la fois nouvelle et très médiatisée. Beaucoup d’experts, que ce soit des psychologies, des philosophes, des sociologues, parlaient de la parentalité… Des actions multiples autour de l’accompagnement des parents voyaient le jour, le plus souvent dans le cadre des REAAP [Réseaux d’Écoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents]. Des nouvelles pratiques étaient à inventer de la part de ces professionnels qui accompagnaient les groupes, avec notamment des interrogations sur les postures à adopter pour favoriser la participation des parents.
De son côté, l’ACEPP [Association des Collectifs Enfants Parents Professionnels], depuis les années 1980, se préoccupait de la parentalité. Une parentalité vécue concrètement puisque dans les lieux d’accueil petite enfance à participation parentale qu’elle fédère, les parents animent ensemble un projet commun au service des enfants, en coopération avec des professionnels.
En participant au quotidien, les parents se rencontrent, échangent, confrontent leurs pratiques, ajustent chacun leur manière d’être parent, à partir de ce qu’ils sont, mais aussi en interaction avec leurs pairs.
Les parents sont acteurs d’un projet qu’ils gèrent ensemble pour lequel ils prennent de réelles responsabilités, ce qui se prolonge pour la plupart d’entre eux par un investissement citoyen plus large dans le quartier ou le village.
S’appuyer sur la prise en compte de la diversité des pratiques et des cultures familiales pour permettre à chaque parent de se sentir reconnu et acteur, favoriser un croisement de regards et de compétences entre parents et professionnels dans un projet commun, a été le fondement de la réflexion du secteur « Parentalité et Diversité » de l’ACEPP et la base même du concept de coéducation.
L’éducation est alors pensée comme une responsabilité partagée entre parents et professionnels, mais aussi en institutions et élus. Ce sont tous ces acteurs qui, ensemble, ont à contribuer à l’éducation, d’où l’ambition de développer partout où il est possible des espaces de dialogue et de débat entre ces différents acteurs.
C’est donc une vision de la parentalité active, solidaire et citoyenne, prenant en compte la diversité des pratiques parentales qui s’est développée et s’est construite, qui est mise en œuvre dans les UPP.
Au sein des actions menées avec les parents, cette vision se concrétise dans des projets :
– Qui considèrent les parents comme de réels partenaires, quelles que soient leurs éventuelles difficultés. De ce fait, les actions interpellent les ressources des parents en se décentrant des manques supposés ;
– Qui reconnaissent les valeurs et les pratiques éducatives familiales parce que l’éducation est fondamentalement une question de transmission et ne peut prendre ancrage que dans le vécu propre de chacun ;
– Qui permettent aux parents de prendre une réelle place, d’avoir un pouvoir, un droit à l’initiative et à la parole ;
– Qui proposent des occasions de faire ensemble, de construire ensemble, entre pairs.
Cette médiatisation de la parentalité du début des années 2000, même si elle avait le mérite de montrer l’importance du rôle des parents dans l’éducation et pour la société, nous semblait pouvoir présenter plusieurs dérives :
– Les messages envoyés par les médias étaient peu nuancés en fonction du contexte de vie des parents et des enfants, de la diversité des pratiques et des histoires de vie. Dès lors, le risque était de mettre en avant certaines pratiques éducatives, voire même un modèle de « bon » parent, invalidant ceux qui, pour diverses raisons, avaient des pratiques qui en étaient éloignées.
– Une partie de ces messages nous paraissaient stigmatiser les parents des quartiers populaires, en faisant des liens rapides et généralisateurs entre délinquance et éducation parentale. À l’ACEPP, nous rencontrions pourtant des parents préoccupés par l’éducation de leurs enfants et qui souffraient de cette idée véhiculée selon laquelle les parents des quartiers baissaient les bras.
En tout cas, il apparaissant clairement que les parents, premiers intéressés, étaient totalement absents du débat. Leur point de vue, notamment celui des parents des quartiers populaires, restait inaudible, invisible. Leurs pratiques éducatives et leurs projets, aussi.
Dès lors, notre préoccupation a été de chercher à savoir comment donner la parole aux parents. Comment leur permettre d’apporter leur point de vue, leur « perspective » sur la parentalité ? Comment changer le regard porté sur les parents ? Comment faire reconnaître leurs savoirs ?
C’est dans ce contexte que l’idée est venue de recherches sur la parentalité qui seraient menées par les parents eux-mêmes pour qualifier leurs savoirs et leur permettre de construire des partenariats avec les institutions afin d’initier des espaces de coéducation sur les territoires.
Les Universités Populaires de Parents sont donc des groupes de parents qui, accompagnés par un animateur et avec le soutien méthodologique d’un universitaire, mènent une recherche sur un thème qu’ils choisissent en lien avec la parentalité.
Ils mettent alors leur travail en débat avec d’autres acteurs : des professionnels, des institutions, des politiques, pour croiser les points de vue et établir le dialogue afin de construire ensemble.
Les objectifs des UPP
Les UPP ont pour objectifs :
– De permettre aux parents de prendre la parole, de donner leur point de vue sur les questions liées à la parentalité ;
– De rapprocher tous les acteurs concernés par l’éducation pour croiser les points de vue et construire un savoir croisé ;
– D’engager des coopérations avec les institutions pour initier des projets concrets qui améliorent le contexte éducatif.
L’objectif est aussi de modifier les regards des parents sur les institutions et des institutions sur eux.
La méthodologie des UPP
La méthodologie des UPP est composée de plusieurs étapes balisées.
La constitution du groupe de parents est la première étape fondamentale, puisqu’elle va permettre à chacun d’entre eux de connaître, de comprendre et de s’approprier la démarche des Universités Populaires de Parents. C’est à partir de cette compréhension que chaque parent va trouver, choisir sa place dans le groupe, en étant en confiance pour échanger librement sur ses préoccupations et être à l’écoute des autres, en étant préservé du risque de jugement. Ce sont tous ces aspects qui vont lui donner un sentiment d’appartenance à l’UPP et qui vont lui permettre d’être acteur dans le projet.
En même temps que se constitue le groupe, se déroule la phase exploratoire : les parents échangent sur leurs questionnements individuels, leurs centres d’intérêts, pour arriver à dégager des thèmes qui sont partagés par tous et dans lesquels chacun va pouvoir se retrouver. Les parents passent alors de préoccupations individuelles à une dimension collective, en problématisant et en contextualisant les situations évoquées par les uns ou les autres.
À partir de ces thèmes et avec l’aide de l’universitaire, le groupe élabore ensuite une question de recherche et définit des hypothèses. Par ce travail collectif, chacun se décentre de ses préoccupations individuelles ; il ne s’agit plus d’une question dans laquelle « je » suis seul-e impliqué-e.
Ensemble, les parents prennent alors de la distance par rapport à leurs questions individuelles, en resituant le contexte, les acteurs concernés. Ils prennent alors conscience qu’ils ne sont pas les seuls responsables des situations auxquelles ils sont confrontés, mais que des dimensions sociales, économiques, interviennent aussi, ce qui a pour effet de déculpabiliser les parents et leur permettre de retrouver de la dignité.
L’UPP choisit alors une méthodologie de recherche qui lui est propre et réalise une enquête sous forme d’entretiens, de questionnaires, d’analyse de documents (livres, revues…).
Le recueil et l’analyse de données vont permettre ensuite d’aboutir à des résultats de recherche qui seront formalisés par écrit.
Des méthodes particulières sont mises en place pour permettre à tous les parents de participer au travail de recherche et pour dépasser les appréhensions ou limites de chacun, par rapport à l’écrit en particulier. Par exemple, certaines UPP se sont organisées pour enregistrer les paroles de parents que d’autres pouvaient alors transcrire par écrit.
Les actions citoyennes
Parallèlement à la recherche, les parents agissent avec les acteurs locaux pour une meilleure compréhension réciproque et dans une perspective de coopération autour de projets locaux : ce sont les actions citoyennes.
Les actions citoyennes sont les actions menées par les parents en direction des professionnels et institutions. Ainsi :
– Les parents organisent des forums locaux qui réunissent des acteurs institutionnels, des élus, des professionnels, des parents au cours desquels ils présentent la démarche des Universités Populaires de Parents, suscitent des débats à partir de leurs travaux de recherche pour faire valoir la voix des parents, croiser les savoirs et proposer des pistes pour répondre aux problématiques posées.
– Ils présentent également leurs travaux à la demande d’institutions, d’élus, de professionnels intéressés par le travail de recherche et/ou par la démarche des UPP et notamment sur la mobilisation des parents. Ainsi, les REAAP, les villes, les programmes de réussite éducative, les écoles et collèges sont les instances qui sollicitent le plus souvent les UPP.
– Des UPP sont aussi intégrées à des groupes de travail municipaux pour faire entendre le point de vue des habitants et leur permettre de participer aux décisions prises. Certains participent, par exemple, à l’évaluation des Programme de réussite éducative (PRE), d’autres ont été sollicitées par le conseil général pour réfléchir à la mise en place de la réforme sur la protection de l’enfance.
– Le savoir et l’expérience des parents sont également reconnus comme utiles dans la formation de professionnels tels que enseignants, travailleurs sociaux de l’Education nationale ou de CAF, coordinateurs des PRE, pour apporter leur connaissance de la réalité de vie des parents visant ainsi à améliorer la relation parents-professionnels.
Plusieurs UPP se sont constituées en associations et impulsent des initiatives telles que des maisons ou cafés de parents. Les UPP sont donc aussi des outils de développement local.
Les acteurs des UPP
Les parents, bien-sûr, mais aussi :
Un ou deux animateurs dans chaque UPP ont en charge la dynamique du groupe. Ils assurent également le lien entre les parents et l’universitaire pour la recherche, ainsi qu’avec les acteurs institutionnels pour les actions citoyennes. Ils participent à la recherche de financements. Ils sont garants de la démarche, du respect de l’inscription du projet dans la charte des UPP.
L’universitaire apporte aux parents un soutien méthodologique dans le cadre de la recherche : il aide à la définition de la question de recherche, à la formulation des hypothèses, il propose des méthodes et des outils d’enquête. Il est garant de la méthodologie de recherche.
La dimension nationale
La dimension nationale est assurée par le fait que les animateurs de toutes les UPP se retrouvent tous les deux mois pour travailler collectivement les questions liées à l’animation d’une UPP et à la posture d’animateur. Les universitaires sont associés à ces réunions, trois fois par an, pour travailler plus spécifiquement sur l’aspect recherche et sur l’articulation entre les fonctions de l’animateur et celle de l’universitaire. De même, des séminaires de parents nationaux ont lieu au moins une fois par an. Ils rassemblent les parents de toutes les UPP afin de partager les expériences et les résultats des recherches. Ils sont de puissants outils de motivation et de dynamisation pour les parents.
Il est apparu nécessaire de créer des outils communs :
– Une charte des UPP qui définit la démarche, les valeurs, le rôle de chacun ; elle est signée par tous les acteurs concernés ;
– Un site Internet : www.upp-acepp.com, qui sert à la fois la communication tout public et d’outil interne de mutualisation entre UPP.
Où sont situées les UPP et quand ont-elles été créées ?
Les cinq premières UPP ont été créées en France en 2005, elles sont situées à Pierre-Bénite / Saint-Genis-Laval (Rhône), Lezennes (Nord), Bassin minier (Pas de Calais), Pau (Pyrénées Atlantiques), Vénissieux (Rhône).
En mai 2008, ces UPP ont organisé un colloque, à Science Po Paris, pour présenter la démarche, les résultats de leurs recherches et mettre ceux-ci en débat avec un large public composé essentiellement de professionnels et d’élus.
Un ouvrage est publié, « Universités populaires de parents : des parents acteurs, chercheurs et citoyens » (sept. 2010, édition Chronique sociale), qui présente la démarche des UPP et les résultats des recherches.
En 2009, de nouvelles UPP sont créées en France, qui constituent ensemble une seconde « génération » des UPP : Angers (Maine et Loire), Avranches (Manche), Chambéry (Savoie), Grigny (Essonne), La Rochelle (Charente-Maritime), Le Portel (Pas de Calais), Nice (Alpes Maritimes), Saint-Priest (Rhône), Villeurbanne (Rhône).
Si chaque groupe de parents choisit sa question de recherche, leurs travaux peuvent se regrouper autour de plusieurs grandes thématiques. Les UPP précédentes (première et deuxième générations) ont abordé :
– La cohérence éducative entre parents et professionnels
– L’école et la réussite scolaire : les conditions de la réussite scolaire pour les enfants vivant dans les quartiers populaires
– L’image des quartiers : les représentations et leurs effets sur les familles, entre mythe véhiculé et réalités vécues
– La transmission de valeurs : les valeurs familiales, l’autorité, l’autoritarisme, la relation des jeunes enfants aux écrans
– La coéducation : comment être tous acteurs reconnus dans l’éducation des enfants ?
En 2009, des partenaires européens de l’ACEPP essaiment la démarche en Belgique et en Allemagne. Ainsi quatre UPP voient le jour à Berlin ; six en Belgique flamande et une à Bruxelles.
À cette même date, en France, une troisième « génération » voit le jour, portant à une trentaine le nombre d’UPP en France : Acolade Lyon (Rhône), Albertville (Haute-Savoie), Aubenas (Ardèche), Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Bègles (Gironde), Épinal (Vosges), Laon (Aisne), Nice (Alpes Maritimes), Pau Grandir ensemble (Pyrénées Atlantiques), Roubaix (Nord), Tarare (Rhône), Toulouse (Haute-Garonne), Vénissieux (Rhône).
Et une quatrième génération vient de voir le jour fin 2016…
Les recherches présentées dans cet ouvrage appartiennent aux UPP 3ème génération. Elles recouvrent six thématiques :
– La réussite éducative avec Aulnay : « La réussite avant tout : les facteurs de la réussite éducative dans un milieu défavorisé » et Pau Ousse : « En quoi les relations entre les différentes sphères de l’éducation favorisent-elles l’épanouissement de l’enfant ? »
– La transmission des valeurs avec Epinal : « Autour de l’image de soi et des transmissions » et Laon : « À l’heure du numérique, nous transmettons nos valeurs »
– La coéducation avec Aubenas : « La place du dialogue dans le système éducatif français », Bègles : « L’enfant vers sont autonomie : chemins, environnement, éducation », et Vénissieux : « La coéducation, de l’utopie à la pratique »
– La protection de l’enfance, avec Acolade Lyon : « La collaboration parents-professionnels dans la protection de l’enfance » et Albertville : « Des préjugés à la reconnaissance : des parents en recherche »
– La diversité, avec Pau Grandir ensemble : « Le choix de vie des personnes déficientes intellectuelles », Tarare : « Diver’cité : parce qu’il n’y a pas de vies minuscules » et Toulouse : « Des parents en mouvement pour une société inclusive »
– La violence, avec Nice : « Communication, formation : des alternatives à la violence ? » et Roubaix « Les années collège sont-elles vraiment sujettes à violence ? Les inquiétudes des parents sont-elles fondées ? »
Quels sont les porteurs de projets des UPP ?
Au niveau local, les UPP sont initiées et animées par différents acteurs : des fédérations de l’ACEPP, des lieux d’accueil petite enfance du réseau ACEPP, des centres sociaux, des associations locales.
Et pour les générations antérieures, des Réseaux d’écoute d’aide et d’accompagnement des parents (REAAP), des Caisses d’allocations familiales, des villes.
Mais toutes les UPP sont reliées au niveau national par l’ACEPP qui assure la formation des animateurs, le soutien méthodologique et qui est garant e la charte des UPP.