Le « rapport sur le suivi statistique des risques psychosociaux » (RPS) a été publié en 2011. Il est surnommé « Rapport Gollac » d’après le nom du Président du collège d’experts internationaux ayant contribué à l’analyse. Ceux-ci représentaient différentes disciplines : ergonomie, médecine du travail, psychologie du travail, épidémiologie, économie… Le rapport propose une véritable synthèse de la littérature scientifique internationale (26 pages) sur les liens avérés des effets de différentes contraintes organisationnelles, sociales et environnementales sur la santé.
Ce rapport synthétise en six axes, dans lesquels tout un chacun peut reconnaître ses conditions de travail, « les facteurs psychosociaux de risque au travail mis en évidence par la littérature scientifique […] relatifs à l’intensité du travail et au temps de travail, aux exigences émotionnelles, à une autonomie insuffisante, à la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail, aux conflits de valeurs et à l’insécurité de la situation de travail ».
À noter que côté syndicats, on préfère parler de « risques socio-organisationnels » dans l’optique de souligner que ces risques ne résultent pas d’une sensibilité ou de problèmes personnels des travailleureuses, mais bien de violences au travail.
Les facteurs de risques psychosociaux décrits par le rapport Gollac sont présentés à travers 6 axes.
Les exigences du travail
« La mesure de l’intensité du travail et du temps de travail englobe les notions de « demande psychologique » (opérationnalisée par le questionnaire de Karasek) et « d’effort » (opérationnalisée par le questionnaire de Siegrist). L’intensité et la complexité du travail dépendent des contraintes de rythme, de l’existence d’objectifs irréalistes ou flous, des exigences de polyvalence, des responsabilités, d’éventuelles instructions contradictoires, des interruptions d’activités non préparées et de l’exigence de compétences élevées. Le temps de travail influe sur la santé et le bien-être par sa durée et son organisation. »
- L’intensité et à la complexité du travail : contraintes de rythme (quantité travail / temps, contraintes par machine, délais, dépendance collègue…), objectifs irréalistes ou flous, penser trop de choses à la fois – complexité du travail, responsabilités (si moyens et/ou compétences insuffisantes pour les assumer), instructions contradictoires et interruptions d’activité, nouvelles technologies (lorsque mal pensées par l’organisation du travail)
- Ambiance matérielle : chaleur, froid, bruit, éclairage, vibrations, etc.
- Durée et organisation du temps de travail : nombre d’heures réalisées, travail de nuit et posté, horaires « antisociaux », extension de la disponibilité
Les risques pour la santé (troubles cognitifs et mentaux, maladies cardio-vasculaires, etc.) sont d’autant plus importants ici lorsqu’un-e salarié-e dépose d’une faible latitude décisionnelle / rencontre des difficultés pour concilier sa vie professionnelle et personnelle
Les exigences émotionnelles
« Les exigences émotionnelles sont liées à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions, afin notamment de maîtriser et façonner celles ressenties par les personnes avec qui on interagit lors du travail. Devoir cacher ses émotions est également exigeant. »
Renvoie notamment au « travail émotionnel », c’est-à-dire devoir façonner ses propres émotions pour répondre aux exigences du travail. Il concerne notamment les métiers de services (commerce, tourisme, accueil, enseignement, santé, etc.)
Parmi les facteurs de risque identifiés, on retrouve :
- La relation au public : gratifiante mais également risques d’agressions symboliques, verbales, physiques
- Le contact avec la souffrance : notamment dans la santé, le travail social ou encore les téléopérateurs
- Devoir cacher ses émotions : devant un public (enseignant, médecin…) mais aussi à l’intérieur de l’entreprise (simuler l’enthousiasme, l’ouverture, l’engagement, etc.)
- La peur : accident (ex : BTP, nucléaire)
L’autonomie
« L’autonomie au travail désigne la possibilité pour le travailleur d’être acteur dans son travail, dans sa participation à la production de richesses et dans la conduite de sa vie professionnelle. Comme la « latitude décisionnelle » du questionnaire de Karasek, elle inclut non seulement les marges de manœuvre, mais aussi la participation aux décisions ainsi que l’utilisation et le développement des compétences. La notion d’autonomie comprend l’idée de se développer au travail et d’y prendre du plaisir. »
- Autonomie procédurale : choix ou non dans la façon de travailler, pouvoir ou non interrompre sa tâche ?
- Prévisibilité du travail, possibilité d’anticiper : pas assez (insécurité, stress, absentéisme) ou trop (absence d’autonomie, monotonie, ennui)
- Développement culturel, utilisation et accroissement des compétences : pouvoir ou non apprendre, créer, évoluer, mobiliser ses compétences à leur juste valeur
- Aspects néfastes de l’autonomie : lorsque autonomie équivaut à une individualisation excessive du travail et de ses résultats / performances (ex : échec renvoyé au seul-e salarié-e sans considérer les conditions de son activité), quand les moyens manquent pour l’assumer (formation, organisation autour, etc.)
Les rapports sociaux
« Les rapports sociaux au travail sont les rapports entre travailleurs ainsi que ceux entre le travailleur et l’organisation qui l’emploie. Ces rapports sociaux doivent être examinés en lien avec les concepts d’intégration (au sens sociologique), de justice et de reconnaissance. Ils ont fait l’objet de modélisations partielles, dont les mieux validées sont le « soutien social » (modèle de Karasek et Theorell), « l’équilibre effort-récompense » (modèle de Siegrist) et la « justice organisationnelle ». Les rapports sociaux à prendre en compte comprennent les relations avec les collègues, les relations avec la hiérarchie, la rémunération, les perspectives de carrière, l’adéquation de la tâche à la personne, les procédures d’évaluation du travail, l’attention portée au bien-être des travailleurs. Les pathologies des rapports sociaux comme le harcèlement moral, doivent être prises en compte. »
- Relations avec les collègues : coopération dans le travail ? Niveau d’intégration dans un collectif ? Reconnaissance par ses pairs de la qualité du travail fourni, de l’observation de « règles de l’art » ? Stratégies et idéologies défensives (cf. Christophe Dejours)
- Relation avec la hiérarchie : soutien technique de la part des supérieurs ? Relations humaines, style de direction et d’animation (nature du contrôle, ouverture aux propositions / débats, transparence, compétence du supérieur, capacité d’organisation, « vision », etc.) ? Quelles modalités d’appréciation du travail ?
- Autres formes de relation à l’entreprise : rémunération et carrière ? Adéquation de la tâche à la personne ? Critères d’évaluation (pertinents ? « justes » ? etc.)
- Relations avec l’extérieur : reconnaissance par les clients / public ? Valeur sociale du métier ?
- Violences internes : discriminations ? Harcèlement moral et sexuel ?
Les conflits de valeur
« Une souffrance éthique est ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles. Le conflit de valeurs peut venir de ce que le but du travail ou ses effets secondaires heurtent les convictions du travailleur, ou bien du fait qu’il doit travailler d’une façon non conforme à sa conscience professionnelle. »
- Conflits éthiques : trahir ses valeur, sa conscience professionnelle ; tricher, mentir, choix entre répondre aux besoins du client / usager ou respecter les impératifs économiques
- Qualité empêchée (Yves Clot) : difficulté à pouvoir faire du « bon travail » (manque de moyens matériels, de temps, d’autonomie
- Travail inutile : ne fait pas « sens », n’apporte rien (tâches absurdes, réunions stériles…)
L’insécurité de la situation de travail
« L’insécurité de la situation de travail comprend l’insécurité socio-économique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail. L’insécurité socio-économique peut provenir du risque de perdre son l’emploi, du risque de voir baisser le revenu qu’on en tire ou du risque de ne pas bénéficier d’un déroulement « normal » de sa carrière. Des conditions de travail non soutenables sont aussi génératrices d’insécurité. Des incertitudes susceptibles de créer une insécurité peuvent aussi porter sur l’avenir du métier ou l’évolution des conditions de travail. De telles craintes peuvent être motivées par l’expérience de changements incessants ou incompréhensibles. Tous ces risques existent aussi bien pour les travailleurs salariés que pour les travailleurs non-salariés, bien qu’ils prennent des formes différentes. »
- Sécurité de l’emploi, du salaire et de la carrière : fragilité voire précarité de l’emploi, salaire à la hauteur et perspectives de promotion, sentiment de pouvoir évoluer
- « Soutenabilité » du travail : possibilité d’exercer sur le long terme dans les mêmes conditions ?
- Changements mal anticipés : risques de surcharge (adaptation, réapprentissage, élaboration de nouveaux compromis : demandent du temps et des moyens), sens du changement (problèmes lorsque le changement n’apporte rien, est jugé « contre-productif », ou n’est pas expliqué), restructuration
- Fusions, réorganisations, délocalisations : risques de stress, d’anxiété pour ceux qui partent pas aussi pour ceux qui restent (syndrôme du survivant, réadaptation, transformation du collectif dans lequel on se sent moins bien, etc.)