Dans « Les furtifs », Alain Damasio nous livre plein de petites pépites pour qui s’intéresse aux dynamiques collectives, d’émancipation et de transformation sociale, comme le fait l’éducation populaire et ce site.
Je vous encourage chaleureusement à lire ce très beau livre, ce texte poétique et stimulant.
Et je reproduis ci-dessous quelques extraits qui me semblent résonner particulièrement avec les thématiques qui doivent vous animer vous aussi, si vous êtes sur ce blog 🙂
NB : Si vous n’avez pas lu le livre, ne lisez pas la suite de cet article. Sans faire du spoil, il pourrait vous gâcher un peu de la découverte du livre…
Extraits et citations
L’enfance qui vient.
– Tu te sens prêt, Lorca ?
– Absolument pas…
– C’est précisément ce que j’appelle être prêt
La technique est l’ensemble de ce qu’il faut savoir pour échapper à la technique.
On prise la différence, toujours. Parce que ce qui diffère brise la familiarité en nous, déconstruit nos certitudes et par là nous jette hors de nos égocentres, vers l’inexploré.
Une disposition, très pure, à être affecté par ce qui n’est pas lui. Ce que j’appelle l’exoïsme : le contraire de l’égoïsme.
– Un militaire ? Toi ? Je n’ai jamais formé quelqu’un d’aussi peu soldat dans l’âme ! Tu es un anarchiste, Lorca, de la chienlit de civil, tu es inapte à respecter la moindre hiérarchie !
– Pourtant je te respecte, toi.
– Tu respectes l’homme en moi. Pas le chef ! Un vrai militaire, c’est quelqu’un qui respecte le chef – n’importe quel chef – fût-ce le dernier des abrutis. Tu pourrais respecter un abruti ?
– Non.
C’était un « café efficace », disons. Un café qui, comme la plupart, depuis que la ville avait été privatisée, n’était plus du tout un lieu de braillades, de petits vieux, d’échanges ou de cuites complices mais un ersatz de bureau pour travailleurs auto-entrepris. Un fiflow comme ils disaient : « Free Office For Liberal Open Workers ».
« Are you pitch-ready? »
(…) Make your space. Be yourself. Comme tout le monde.
(…) Ils ne correspondaient à rien : pas rentables, pas duplicables, pas scalable.
(…) Un truc « total out-of-the-box »
(…) Les thèmes majeurs du management disruptif ? la mobilité comme norme par exemple, la faculté à constamment surprendre, innover, s’adapter ?
(…) Voilà mon insight.
(…) Un redéploiement plus agile des crédits.
Pour qui « pas de chef » est juste normal. Le prix libre, la norme quoi. Qui trouve évident de troquer et de jamais avoir d’oseille en poches : ils ont une appli qui décompte tout sur le serveur de la communauté. Tu dois juste être positif rapport à ta dette aux autres. Et sinon ? Sinon que dal, il se passera rien, ça ronchonne un peu et basta. Tu feras un peu plus d’heures les pieds dans la gadoue, à la rizière, c’est tout. Et si tu merdes vraiment, que tu fais le gros morpion qui suce ? Ben, on finit par te foutre dans la cale d’une péniche et on te ramène à Arles fissa. Tu deviens tricard ici. Ils dégagent deux trois mecs par mois comme ça. Que des mecs, pour le coup : les nanas foutent pas la merde. D’ailleurs elles sont en majorité sur l’île.
Plus le temps pour la trouille, c’est trop tard, fallait avoir peur avant. Là, faut survivre et tracer.
Orange n’a pas les effectifs pour une guérilla longue. S’ils réussissent pas à nous dégager en deux jours et que le taux de plaintes reste assez bas, ils abandonnent : ça leur coûte trop de fric. C’est ça aussi le libéralisme : ça ouvre des brèches !
C’est de l’intelligence nichée dans le corps, c’est une façon d’apprivoiser les macaques dans les groupes et de sniffer le vent, de pas la ramener et d’attendre le moment où tu peux prendre ta place.
Jamais agresser personne car ta présence, dans un foyer, est déjà une grosse agression de base, même si tu te crois piola. Toujours écouter, même dans le jus ! Faire miroir aux gens dans leur tchatche, leurs façons, s’ils disent « policier », tu dis aussi « policier », tu dis pas « poulaga ». Et déminer sans cesse la colère, la « désescalade » elle appelle ça. Chercher l’empathie, donner quelque chose, même si c’est juste un sourire, juste un merci, juste un compliment à la volée. Savoir prendre le temps de rester et de se tanker parfois… Car c’est comme ça que tu crées du lien, de la solidité. Donc des bases de repli pour d’autres.
Je passe mes semaines à enseigner des situations que je ne vis pas, à apprendre aux autres à affronter des conflits que j’évite.
Reformulation en écho. Classique en manipulation comportementale mais toujours efficace. Donne la sensation d’être écouté et compris.
Ils acceptent parce que nous rêvons tous d’un monde bienveillant, attentif à nous. Un monde qui prenne soin de nos esprits et de nos corps stressés, qui nous protège et nous choie, nous aide et corrige nos erreurs, qui nous filtre l’environnement et ses dangers. Un monde qui s’efforce d’aménager un technococon pour notre bien-être. L’intelligence ambiante pourvoit à ça. Elle nous écoute et elle nous répond. Elle courbe cette bulle autour de nos solitudes. Elle la tapisse d’objets et d’interfaces cools. Bien sûr, elle en profite pour nous espionner jusqu’au slip et pour nous manipuler jusqu’à la moelle ! Mais au moins, elle s’occupe de nous, ce que plus personne ne fait vraiment… C’est un cercle vicieux. Plus nos rapports au monde sont interfacés, plus nos corps sont des îlots dans un océan de données et plus nos esprits éprouvent, inconsciemment, cette coupure, qu’ils tentent de compenser. Et ils la compensent en se reliant à des objets, en touchant et parlant à des dispositifs qui nous rassurent – et nous distancent en même temps. Un réseau social est un tissu de solitudes reliées. Pas une communauté. Ce fauteuil que je caresse n’est pas un corps mais il me masse les reins. Ca me fait du bien donc ça me fait rêver d’un vrai corps que je n’aurai pas donc je reviendrai au fauteuil, encore et encore…
Un serf-made-man qui a fait de ce café son bureau (y grattant un peu de convivialité, sans doute).
Je veux être au milieu d’une nature qui circule et qui flue, seigneur Varèse, qui passe son chemin et qui nous traverse. Les propriétés des nantis sont trop souvent pensées comme des enclaves, conçues en termes de frontière et de coupure, comme si le prestige d’un statut se décidait à l’épaisseur des protections. À titre personnel, je crois que la noblesse se juge à leur finesse ; la peur est toujours un signe de vulgarité. Je suis de passage, nous sommes tous de passage, alors laissons les sangliers, les gens et le vent passer.
– Vous ne trouverez jamais votre fille si vous la chassez, si vous la cherchez. Vous connaissez la formule de Picasso ?
– « Je ne cherche pas, je trouve » ?
– C’est devenu un laborieux cliché. Outre que, naturellement, on ne trouve pas non plus, aucun artiste digne de ce nom ne trouve. Il est trouvé. Je vais vous dire une chose que d’autres vous ont peut-être déjà dite parce que ça n’a rien d’original, malheureusement : vous ne trouverez pas Tishka. C’est elle qui vous trouvera. Quand elle le voudra. Et si elle le veut…
– Qu’est-ce qu’on peut faire alors ? Attendre ? Juste attendre et espérer ? Encore et encore ? Vous vous figurez ce qu’on vit ?
– En art comme pour vous ici, il y a deux conditions pour être trouvé. La première est de se tenir dans l’Ouvert. Là où ça passe – et se passe. C’est un enjeu de position, de placement existentiel, de sentir là où ça va se nouer et de s’y tenir. La seconde est de se laisser traverser. Tout ce que vous ferez d’actif et de forcé vous éloignera d’elle. Vous lui avez laissé des messages, elle a répondu. Maintenant, laissez le miracle opérer.
– Vous ne m’aidez pas…
– Je sais. Ni paradieu, ni paramaître. Je suis désolé.
L’autonomie, elles posent, c’est d’abord l’eau, number one, puis ton ventre numéro due, puis le podro : pouvoir dormir. Le reste, on voit après. Et sur Porquerolles, l’eau vive, c’est oualou, elle vient du continent chaque jour, en citerne. Va falloir vite avoir nos tankers. Et pouvoir zapper les barrages dans la rade. Pas gagné. La graille, on a fait un comité dessus : dans l’immédiat, ce sera canne à pêche, vigne, vergers, olives : le local. À terme : pisciculture sauvage, ostréiculture, algues, blé, seigle. L’autonomie en fruits et légumes est possible ici, climat idéal. Faut juste de l’eau. Again. Ca, c’est la focale Ressource. Mais imho, faudra surtout du soin et de l’attention à tous et toutes, et reverse ! Car tu spawnes pas une Commune qui tourne, si patchwork dans son rapport au corps, sexe, monde, tout, sans apprendre à vivre avec ce qui nous dépasse et nous unit, despite us, isn’t it?
S’attacher ou s’arracher ?
Comme dans la plupart des assemblées « de fondation » que j’avais vécues dans les Communes autogérées – des AG toujours surinvesties affectivement, surexcitées même – j’ai retrouvé l’éclatement multipolaire habituel. Cette façon assez unique, plomb et or à la fois, qu’on les radicaux de se diviser et de se subdiviser, à mesure de l’intensité des convictions qui nous fondent. Aux premiers conflits, tout est revenu en moi à la surface, disponible pour mon métier de sociologue communard : la lecture des stratégies de groupe, la perception des charismes, les attitudes clivées de rupture, de consentement et de conflit, le tempo primordial des prises de parole, la question de la méthode, les votes pour savoir si on vote… Celles qui croient à l’intensité, à l’énergie, que voter est une défaite ; ceux qui croient à la méthode, à un minimum de règles, comme moi, parce que l’énergie s’y équilibre, y prend une direction, évite la dispersion entropique ; celleux qui ne jurent que par l’action, le faire, l’immanence des constructions collectives, le on-fonce / on-verra-bien ! sans voir que ce faire est déjà un choix imposé aux autres. Qu’il faut justement questionner.
(…)
Les Citoyennistes, étoilés de principes, de respects croisés, de consensus-à-trouver, d’ouverture maximal à la société civile – en bref, faire de Porquerolles un modèle d’accueil et de démocratie. Les Corsaires avec leur anarchisme ancré, leur passion pour les îles et le moindre caillou émergé, les villages flottants en pleine mer, les cargos pirates et les cités-ferries, qu’ils rêvent comme des immeubles vagabonds, indépendants de tout territoire puisque la mer sera leur terre si bien qu’ils échapperont au droit. Les Survivalistes en mode Apocalypse Now! – tunnels, terriers, bunkers, qui feraient bien de Porquerolles une taupinière comme de la batterie de Mèdes l’université mondiale des cours de survie. Les Primitifs qui visent une écologie radicale, une île intégralement notech, sans moteur, sans bague, sans bruit. Les Terrestres qui se veulent plus pragmatiques, parlent de restanques à restaurer, de coupes raisonnées pour une filière bois locale qu’irait de l’arbre à la table, pensent permaculture et agrumes bio et n’excluent pas l’élevage dans les plaines, voire la chasse en cas de surpopulation de sangliers. Et bien sûr la Mue, qui imbibe tant d’autres luttes, ce mouvement transverse qui libère les corps et les genres, cherche ce point de fluidité de l’humain nuancé qui ne refuse pas l’ancage, pour peu qu’il soit volontaire et pas assigné par la société.
Et tellement d’autres encore, aussi exaspérants que touchants : les pacifistes, les drogués, les épicuriens, les terraristes, les collapsologues, les narcissiques, les misanthropes, les no-future et les no-ways, les yes-we-can et les à-quoi-bon. Toute cette faune et cette flore de ceux qui n’ont parfois qu’un seul point commun : penser que ce système est le mal. Sans avoir la moindre idée, le plus souvent, de ce qui pourrait être « le bien » – ou tout au moins « le mieux ».
Le triple « hum, hum, hum ! » en fil rouge : humanité du regard, humour et humilité des pistes.
Et j’ai proposé des cadres minimaux pour sortir de la cohue. Choisir d’abord le processus de prise de décision : loi non dite du meilleur parleur ? Vote brut majoritaire ? Conduite par boucles suggestions-objections-consentement ? Des élections sans candidat déclaré, sur proposition de chacun ? Du mandat tournant, révocable, tiré au hasard ? Déjà, ça a commencé à turbiner. Puis définir qui décide quoi : raison d’être des rôles dans le hameau, périmètre d’action des logeurs, des anarchitectes, des guérilleros, etc. Tâches redevables, attributions de ces rôles, forcément interchangeables, pour éviter que se reproduisent les traditions d’une certaine oppression.
Enfin, j’ai essayé de rappeler l’essentiel, dans l’esprit : la nécessité de créer du « nous ». Un faire-ensemble et un vivre-ensemble. Une intelligence collective qui se reconnaisse dans le dissensus, par le dissensus et en tire sa vitalité et pas son épuisement. L’acceptation d’être pour, contre, parmi, avec ou sans, parfois tout à la fois. Plus quelques graines semées sur l’êthos, les comportements nuisibles, l’attitude propice à une construction commune. Les évidences de la bienveillance, souvent oubliées, les apports du lâcher-prise, les mérites de l’écoute, l’importance de savoir reconnaître son ego et ses colères intimes, de savoir s’observer parfois pour se déminer. Penser la colère comme un don qu’il faut faire fructifier. Pour construire, pas pour détruire.
Neuf enjeux clés :
1- Se lover ou s’envoler ? [Individualisme]
2- Du possible, sinon j’étouffe ! [Expérimenter]
3- Ressusciter l’angle mort… [Out of control]
4- Rien ne les détruit plus que le gratuit [Économie]
5- Pour que taffer fasse troper [Travail]
6- De la grappe au groupe [Politique]
7- La bague ou la ZAG ? [Autonomie technique]
8- Tisser nos corps [Corps]
9- Nous serons la nature qui se défend [Écologie]
Tâtonner. Rater. Essayer encore. Rater mieux. Faire que nos expériences prennent corps, s’offrent le temps, ouvrent l’espace. Faire que quelque chose enfin se passe. Faire qu’il existe un dehors, une jungle, des ZAG et des zoùaves, au zoo libéral qui nous encage. Du possible, sinon j’étouffe !
Longtemps tu fus l’individû qui crut que tout lui est… dû. L’individu-à-liste, séquencé ; l’indivi/duel : seul contre tous ! Ta vie d’hyperliens, d’alien, d’i-rien retranché comme un pépin dans ton grain de raison, dans ta bulle de filtre, au milieu de ta commune-ôtée. Puisqu’on a tout fait pour nous rendre étrangers au monde, quoi d’étrange à ce que nous voyions tout le monde comme un étranger ? Toi que Big Tata couve dans ton technococon : plutôt chenille ou papillon ? Se lover ou s’envoler, enfin ?
Nous sommes la nature qu’on défonce. Nous sommes la Terre qui coule, juste avant qu’elle s’enfonce. Nous sommes le cancer de l’air et des eaux, des sols, des sèves et des sangs. Nous sommes la pire chose qui soit arrivée au vivant. OK. Et maintenant ? Maintenant, la seule croissance que nous supporterons sera celle des arbres et des enfants. Maintenant nous serons la nature qui se défend.
Tous les pouvoirs ont intérêt à nous attrister. Rien ne leur nuit plus que la joie. La joie, ça n’obéit pas. Un pouvoir ne tue pas pour éliminer les adversaires. Il tue pour attrister. Ils ont tué Tishka pour ça. Nous ne lui rendrons pas hommage en demeurant tristes.
Des adultes déjà soumis à la morne, déjà verrouillés dans leurs certitudes et leurs conforteresses.
« Un paradigme est dominant quand l’irréfléchi du quotidien se trouve ordonné par lui. » Benasayag
Qu’est-ce qu’une puissance, une puissance de vie ? C’est le nombre de liaisons qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte. Ou encore, c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables. Dans cette optique, vivre revient à accroître notre capacité à être affectés, donc notre spectre ou notre amplitude à être touchés, changés, émus – qui s’oppose d’ailleurs point par point à la surstimulation et à l’économie de l’attention dont l’anneau est porteur. L’anneau n’affecte pas, il nous infecte. Il pollue notre disponibilité. Il encrasse ces filtres subtils sans lesquels il n’est pas de discrimination saine entre les liens qui libèrent et ceux qui nous enchaînent, qui nous aliènent. Contracter une sensation, contempler, habiter, ce sont des liens élus. Subir des stimulus incessants, par contre, suscite ce stress qui nous détruit.
Nos puissances de vivre relèvent d’un art de la rencontre, qui est déjà en soi une politique. Celle de l’écoute et de l’accueil, de l’hospitalité au neuf, qui surgit. C’est la capacité, selon moi, à se tenir debout dans l’Ouvert, dans ce qu’on pourrait baptiser le Rouge Ouvert : un champ d’intensité vibratile et frémissant, attentif et vigile. Qui discrimine donc, écarte et appelle, selon. Et puisque c’est la rencontre, le fait actif d’affecter et d’être affectés, passionnément, qui va nous hisser au vivant, il devient crucial d’aller à la rencontre. À la rencontre aussi bien d’un enfant, d’un groupe, d’une femme que de choses plus étranges comme une musique qui te troue, un livre intranquille, un chat qui ne s’apprivoise pas, une falaise ; côtoyer un arbousier en novembre, épouser la logique d’une machine, rencontrer un cri, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige…
Il n’est qu’une seule vraie révolte, au fond : c’est contre les parties mortes en cours, cette mort active dans nos perceptions saturées, nos pensées qu’on mécanise, nos sensations éteintes. Être du vif, relever du vif. Les furtifs portent en eux et nous portent à nous, comme un cadeau caché dont le ruban est à défaire, cette double révolution possible : celle des liens horizontaux, à tisser sans cesse hors de nous, et celle des liens verticaux, à intensifier en nous, avec nos ascendances animales. Ce n’est pas l’un ou l’autre, l’un après l’autre : c’est tout ensemble une vitale insurrection, collective et intime, pour porter au point de fusion nos puissances. Et en offrir l’incandescence à ceux qu’on aime. C’est un alliage et c’est une alliance. Être mois celui qui brûle que celle qui bruisse. Entrer, par effraction, dans le Rouge Ouvert… S’y tenir, fragilement… Pouvoir entrer dans la couleur.
Les théories du complot, ce savoureux biais cognitif qui simplifie à merveille, par insuffisance ou par fatigue, ce qui relève de la complexité des coïncidences et du hasard.
L’intelligence de l’histoire implique, il me semble, que nous acceptions que les véritables changements aient quelque chose de nécessairement invisible. Dans la mesure où c’est précisément cette invisibilité aux capteurs des dominants, à leur récupération prédatrice, qui leur offre l’espace et le temps indispensables pour se déployer.
Le but c’est d’entrer dans la métamorphose de toi ! De faire muter les autres, les sortir de leur dedans ! Se lâcher la bride, accepter que le monde te percute et que tu percutes le monde ! Le but, c’est frôler le chaos, filer borderline, être furtif dans sa tête ! Tu prends l’enviro comme un réservoir où tu puises, où tu donnes, où tu crèves tes sacs de toi, tes ego de merde.
– Dans l’océan de merde dans lequel on patauge, pour parler comme toi, dans cet océan du capital, tous les continents lui appartiennent. La seule chose qu’on peut faire, pour l’instant, c’est, peut-être, d’aller fracturer la croûte terrestre, là où c’est un peu fragile, un peu ouvert, et tirer avec nos bras dans la fissure pour faire sortir du magma en douce… Disons provoquer ou accompagner des éruptions. Et quand un volcan, par miracle, pousse assez haut pour émerger à la surface, qu’un îlot se forme, vite nager pour s’y installer… et y faire pousser ce qu’on pourra…
(…)
Une île bien sûr, c’est pas grand-chose. Une ZAG de trois cent personnes, on peut en rigoler. Mais deux îles, quatre, dix îles, ça commence à faire un archipel ! Et plusieurs archipels, reliés et complices, ça peut faire un pays, comme la Grèce. Et à force de faire terre, peut-être qu’on finira un jour par faire continent…
– Je ne sais même pas si c’est souhaitable, tu sais ! Small is beautiful! Si tu restes à taille humaine, ça permet une démocratie directe. Mois de deux mille, c’est la dimension d’une commune rurale. Si tu multiplies un peu partout ces communes, avec chacune bricolant ses modèles politiques, ancrés dans le local, articulés au vivant, ce sera au final plus viable que de vouloir imposer un contre-modèle unique !
– C’est la polyphonie des pratiques qui peut garantir une liberté. Enfin, il me semble…
– Moi je crois qu’il faut sortir de la hourrah-révoution surtout ! 1/g ! 1/g ! OK ! On destitue tout, OK ! Mais aucun être vivant, même les furtifs, ne tient sans structure, sans mémoire. La vitalité ne s’oppose pas à la structure. Elle en dépend, même, le plus souvent, si elle veut s’exprimer. Il faut créer des dispositifs et ne plus avoir peur des institutions en soi, si elles restent fluides.
– Au moins des éthiques qui cadrent. Des horizons de comportements positifs, bienveillants…