Le retour du slut-shaming : responsabiliser les femmes pour éviter les viols, vraiment ?
Un excellent article de Maïa Mazaurette pour GQ, que je reproduis ici.
Grande polémique aux Etats-Unis avec le livre « Unwanted Advances » de Laura Kipnis, qui remet en cause les politiques des universités américaines concernant la prévention des viols. Rappel rapide du cadre : selon certaines études, jusqu’à une femme sur quatre sera violée pendant ses études aux USA. 10 % des étudiants admettent avoir violé une de leurs camarades, et pour 92 % d’entre eux, n’ont pas recommencé. Malgré l’extension de l’amendement Title IX qui oblige les facs à traiter le problème de manière plus rigoureuse, les informations récentes nous montrent que les coupables ne risquent pas grand-chose.
Comme l’affirment deux féministes libertariennes, Laura Kipnis et Camille Paglia, le Title IX ne sert qu’à infantiliser les femmes. Hasard du calendrier, je suis justement en train de lire le dernier essai Camille Paglia, qui tire au lance-roquettes sur les victimes (« une fille qui boit à en perdre conscience à une fête de fraternité est une crétine. Une fille qui monte seule dans la chambre d’un camarade de classe à une fête de fraternité est une idiote « ).
Réponse en miroir de Laura Kipnis : « Sous la culture du viol, les hommes doivent être contrôlés, les femmes doivent être protégées. Mais c’est du paternalisme, pas du féminisme. » Sa solution ? Des cours d’auto-défense. (Je veux bien, mais les scandales les plus fameux font état de viols collectifs, et sont très très souvent liés aux mécaniques de groupe de garçons appartenant aux équipes sportives. Si le mec joue en défense à son club de football américain, il va falloir des compétences au krav-maga assez démentielles.)
Taper aux testicules, arrêter d’appeler à l’aide ? Voilà qui pique. En bien et en mal. Le monde décrit est parfaitement irréaliste, mais il redonne de la verticalité aux femmes. On sort clairement du discours victimisant. Laura Kipnis : « les femmes doivent être éduqués à réagir en temps réel au lieu d’attendre que les hommes atteignent des états supérieurs de prise de conscience – juste au cas où ce jour ne se produirait jamais. »
Ok. De temps en temps, et j’accepte qu’on me traite de bitch anti-empathique, j’aimerais que sur les sites « paye ta schneck/blouse/robe/etc », on ait la réponse de la victime. Qui semble ne jamais réagir quand on la bouscule. Or si certaines personnes se sentent autorisées à traiter horriblement les femmes, c’est aussi parce qu’on les laisse faire – parce qu’il n’y a aucune conséquence. Certes, la plupart du temps on n’a pas le choix. Ce sont les patrons, maîtres de stage, profs, qui ont le pouvoir. Mais si toutes les femmes envoyaient chier tous les harceleurs, tous les commentateurs perfides, systématiquement, immédiatement, on ne pourrait pas toutes perdre notre job. Mais eux pourraient perdre le leur.
D’un autre côté, il me semble absurde de faire peser les agressions sur leurs victimes – on a déjà suffisamment de questions concernant « comment on était habillée » ou « pourquoi on a bu ». Les libertariennes n’aident pas. Elles enterrent. Quant à demander aux hommes de prendre conscience du problème, c’est la moindre des choses.
Ce qui manque au discours américain en ce moment, c’est une Virginie Despentes qui racontait à Radio Nova (je vais la citer de mémoire) : « je trouve hallucinant que les hommes ne traitent pas ensemble de la question du viol. C’est leur problème, pas celui des femmes. Le viol est un problème pour les femmes, mais c’est le problème des hommes. »
Notons aussi que Kipnis et Paglia, toutes badass qu’elles soient, proposent quand même que seuls les mecs puissent boire comme des trous en soirée, ce qui est un processus de socialisation complètement naze, certes, mais tout de même, quand on déboule de son petit village pour arriver enfin en fac, peut-être veut-on s’amuser. Est-ce que les étudiantes sont censées boire du thé comme des ladies, sans jamais avoir de relations sexuelles avec le beau quarterback ? L’idée ici, c’est que l’insouciance soit un privilège d’homme. Tristesse. (Ceci est très clair dans la pensée de Paglia : biologiquement et socialement parlant, les femmes ne peuvent pas se permettre le luxe de l’insouciance. Puisque je vous dis que ça pique…)
Ces polémiques ne devraient pas tarder à débarquer chez nous, même si le contexte est différent. C’est un effet classique de balancier. Les femmes ont énormément pris la parole sur ces sujets récemment, je parie un chandelier en platine que dans les deux ans, un/e intellectuel/le va proposer que les femmes agissent au lieu de parler, non mais, ok, avec les gants de boxe. Je n’ai pas envie d’être infantilisée, clairement. Mais je n’ai pas l’impression de l’être. Je n’ai pas envie d’une société paternaliste. Mais je ne trouve pas que sur la question du viol, on ait des masses de paternalisme à l’oeuvre – plutôt de la surdité, une infinie indifférence. Boys will be boys. En attendant, je pense qu’on peut parler ET réagir ET frapper, avec des mots (et des poings en dernier dernier recours).