Ni dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme est un documentaire de Tancrède Ramonet sorti en 2016.
Le film est découpé en deux parties : La Volupté de la destruction (1840-1914) et La Mémoire des vaincus (1911-1945). Un troisième épisode Les réseaux de la colère (1945-2001) était prévu mais pour des raisons officiellement budgétaires, reste pour l’heure sur le banc de montage.
Un documentaire à voir absolument !
Disponible en VOD et en téléchargement sur le site des Mutins de Pangée.
Bande annonce :
Notes en vrac
Proudhon a été le premier à parler d’anarchisme.
La propriété c’est le vol / Détruire les dominations : État, capital, religions / Mutualisme
Bakounine le suit, mais, lui, parle d’insurrection
Dans le cadre de la 1ère Association Internationale des Travailleurs, créée en 1864, dont le principe est que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » Marx et Bakounine s’affrontent. Les anarchistes se méfient du pouvoir et de l’autorité.
Trois courants apparaissent au sein du socialisme :
– Le réformisme, qui ne veut pas la révolution
– Le marxisme, qualifié d’autoritaire par les anarchistes, qui veut un État socialiste et une dictature du prolétariat
– L’anarchisme, anti-autoritaire, qui veut la destruction de l’appareil étatique et prône pour cela l’insurrection
En 1871 : la Commune de Paris
Répression dans le cadre de la Semaine sanglante. Constat que si on agit de manière pacifique, on est massacrés.
En 1872, Marx exclut les anarchistes de l’AIT. Bakounine parvient à s’enfuit, et l’Internationale anti-autoritaire est créée à St-Imier.
– Destruction de tout pouvoir politique
– Pacte d’amitié, de solidarité, de défense mutuelle
– Horizontalité, anti-autoritarisme
– Radicalité révolutionnaire et internationnaliste
– Athéisme
– Liberté de parole et de pensée
– Égalité de tous
– Refus du jeu des partis
+ Invention d’une nouvelle arme : la grève générale
1886 : May Day
1er mai 1886 à Chicago : grève générale. 340 000 travailleurs demandent la journée de 8h. La manifestation est réprimée.
Le 3 mai, nouvelle manifestation à Haymarket. Des anarchistes prennent la parole. Une bombe explose au milieu des agents de police, la police tire, les manifestants répliquent. Les anarchistes sont accusés d’avoir posé la bombe : 8 sont accusés, 5 sont condamnés à mort et exécutés.
Ils seront innocentés en 1893. Il est rendu public que la bombe avait été posée à l’initiative du chef de la police.
Cela déclenche la colère dans le monde entier. Le 1er mai devient la Journée internationale des travailleurs.
En France : début de la propagande par le fait.
Expression spontanée de l’action révolutionnaire. Il s’agit de ne plus se contenter de discours.
1er mai 1891 : répression des anarchistes.
Ravachol pose des bombes aux domiciles des juges qui ont condamné les anarchistes : si celles-ci font des dégâts matériels, elles ne tuent personne. Il est arrêté et exécuté en 1892.
Cela entraîne une multiplication des bombes.
Certains anarchistes commencent à penser que la propagande par le fait ne sert pas leur mouvement politique. C’est notamment le cas de Malatesta, Kropotkine, Elisée Reclus. Ils pensent que cela éloigne les anarchistes des luttes sociales.
En revanche, un certain nombre d’artistes soutiennent les poseurs de bombe. Ainsi, Zola écrira : « La terreur bourgeoise a fait la sauvagerie anarchiste ».
Suite à l’assassinat du président Sadi Carnot en 1894 lors de l’exposition coloniale de Lyon, sont promulguées des lois scélérates, qui condamnent l’anarchisme et l’antimilitarisme.
Partout dans le monde sont éditées des lois contre le « Péril noir ». Le New-York Times parle de « guerre à la terreur » en 1894.
En 1898 est organisée une Conférence internationale pour la défense contre les anarchistes. C’est une préfiguration de ce qui deviendra Interpol.
À la fin des années 1890, les anarchistes reviennent dans les luttes sociales. C’est alors qu’ils développent le syndicalisme révolutionnaire, qui sera appelé plus tard l’anarcho-syndicalisme.
Fernand Pelloutier est la figure de proue des Bourses du travail.
On y vient pour chercher du travail, on y trouve une école, une bibliothèque, des discussions et de l’élaboration politique. Idée que la connaissance du monde est nécessaire pour le changer : « la science de son malheur ».
Il s’agit d’incarner dès aujourd’hui ce qu’on veut plus tard pour la société de demain.
Avec la naissance de la CGT en 1895, et notamment avec Emile Pouget en tant que Secrétaire, la CGT défend la centralité du syndicat, par opposition à celle des partis.
La CGT est alors un syndicat d’action directe, autosuffisant. Il n’a pas besoin de la politique : le syndicat porte le projet révolutionnaire.
Le vote est considéré comme une légitimation de l’ordre établi, en plus d’être une arme illusoire, les représentants n’ayant aucun compte à rendre à ceux qui les ont élus.
La grève générale est au centre de l’action. Grâce à la grève générale, la société s’écroulera d’elle-même, et on obtiendra, sans avoir besoin d’insurrection, une société sans État. Il s’agit de supprimer l’essence même du capitalisme : s’il n’y a plus de capitaux produits, alors y n’y a plus ni capitalistes ni capitalisme.
Pendant ce temps, le capitalisme tue. À Courrière, 1500 mineurs meurent en 1906 parce que leur patron a préféré éviter la propagation d’un feu plutôt que de leur permettre de sortir de la mine. Cela provoque une grève importante, face à laquelle le président Clémenceau envoie la troupe.
Le 1er mai 1906, journée de grève à l’appel de la CGT, demandant la journée de 8h. Face à eux, les travailleurs trouent 45 000 hommes de troupe. Le syndicalisme révolutionnaire est alors très populaire.
La Charte d’Amiens est adoptée en octobre 1906.
Le syndicalisme révolutionnaire est puissant dans les pays capitalistes industrialisés : la CNT en Espagne, la FORA en Argentine, les IWW aux États-Unis. Ils ont des sections féminines qu sont aux avants-gardes. C’est ainsi que le mouvement anarchistes est le seul mouvement à avoir des figures féminines de premier plan, telles que Louise Michel, Emma Goldman, Voltairine de Cleyre, Lycy Parsons, Virginia Bolten.
Mais certains, parmi lesquels Malatesta, commencent à dénoncer le fait que le syndicalisme révolutionnaire devient peu à peu apolitique, au ventre mou.
Un nouveau courant naît à partir de 1909 : l’individualisme.
Sous l’influence des Lumières et du Romantisme, ils sont les enfants terribles de leur temps et pratiquent une objection de conscience généralisée.
Ils veulent une vie bonne (à ne pas confondre avec une vie facile) dès aujourd’hui et maintenant. Ayant un désir global de changement, ils rejettent les valeurs bourgeoises de travail, famille et patrie. Ils s’attachent à mettre en cohérence leurs idées et leurs actes. Ils créent partout dans le monde des colonies, des contre-sociétés.
Notamment, ils s’intéressent à l’école. Car pour changer la société, il faut changer les individus. Ils sont des éducationnistes réalisateurs. L’anarchiste est ainsi avant tout un éducateur : il s’agit de faire un homme nouveau pour pouvoir faire une société nouvelle.
Ainsi les expériences de Sébastien Faure ou encore de Francisco Ferrer mettent en œuvre une éducation intégrale.
« Nous ne craignons pas de le dire, nous voulons faire des Hommes dont l’indépendance intellectuelle sera la force suprême, qui ne se soumettront jamais à rien, capables de discerner ce qui est bon, et qui aspirent à vivre mille vies en une seule. La société craint de tels Hommes, et il ne faut pas attendre d’elle qu’elle soutiennent jamais une éducation capable de les produire. »
Les anarchistes, en matière d’éducation, se méfient d’eux-mêmes. Ils ont une telle méfiance à l’endroit de l’autorité illégitime, que leur réflexion sur d’éducation comporte une profonde réflexion sur les risques d’endoctrinement que porte leur projet.
« Rappelons-nous toujours que nous ne voulons pas faire de bons petits anarchistes. »
Francisco Ferrer est condamné à mort sous une fausse accusation. Cela déclenche une solidarité internationale. Le 13 octobre 1909, jour de son exécution, l’émeute à Paris voit les échauffourées les plus violentes depuis la Commune.
Changeant de tactique, c’est alors que certains individualiste vont pratiquer l’illégalisme. Marius Jacob, qui a inspiré le personnage d’Arsène Lupin, cambriole sans violence, et avec élégance : « Oui je vous ai volé un mouchoir de poche d’une valeur de 250 francs. 250 francs… N’est-ce pas une insulte à la misère ? »
De leur côté, Bonnot et les bandits tragiques, sont des anarchistes individualistes, sont d’austères doctrinaires, qui commettent en 1911-12 des attaques très violentes.
Cette violence entraîne la disqualification des anarchistes dans leurs efforts contre la guerre. Avec la mort de Jaurès, même Kropotkine se rallie à l’Union sacrée.
Au sortir de la 1ère guerre mondiale, l’anarchisme avait perdu son influence. Jusqu’à un-tiers des travailleurs avaient été tués dans certains pays.
C’est au Mexique qu’a eu lieu la première grande révolution libertaire en 1910-11 : Tierra y libertad. Les frères Flores-Magon, avec le PLN, appellent à une vaste réforme agraire. L’anarchisme est le seul mouvement socialiste à accorder un rôle moteur à la paysannerie dans le processus révolutionnaire.
C’est la première fois que les anarchistes ont une armée qui fonctionne selon des principes anarchistes, et implantent le communisme libertaire. Mais c’est un échec.
1917. Dans un premier temps, la révolution russe s’attaque aux injustices et donne tout le pouvoir aux Soviets. C’était exactement la révolution telle que prônée par les anarchistes : l’insurrection spontanée. Ils voient alors dans les bolcheviks des révolutionnaires avec lesquels, malgré les désaccords sur les méthodes, il est possible de s’associer.
En Ukraine, Nestor Makhno met en place la Makhnovtchina, une armée de volontaires au sein de laquelle les officiers sont élus. En octobre 1919, alors que tout semble perdu pour les bolcheviks et la révolution. Mais Makhno et les anarchistes sauvent la révolution.
Mais Lénine met en place ce qu’on appellera ensuite le communisme de guerre. Ce qui va à l’encontre de tous les principes socialistes des anarchistes :
– Police secrète
– Réquisition des denrées alimentaires
– Impossibilité pour les gens de faire leurs courses au marché
– Création d’un système bureaucratique, hiérarchisé, qui monopolise les richesses
– Maintien de la peine de mort
Trotski, qui vient de prendre la tête de l’armée rouge, décide de « débarrasser la Russie des anarchistes avec un balai de fer. »
Afin de fabriquer le consentement sur ce projet, une propagande cinématographique est lancée sur les risques de la désorganisation petite-bourgeoise et le péril noir de l’anarchie.
En 1921, Kropotkine meurt et des funérailles nationales lui sont organisées. Les anarchistes, largement emprisonnés, sont libérés le temps des funérailles. Mais juste après, plusieurs sont fusillés.
C’est alors Kronstadt. Et le massacre de la Makhnovtchina : alors qu’ils étaient avec l’Armée rouge près de Sébastopol, à tenir un gand banquet pour fêter une victoire, tous les officiers makhnovistes ont été exécutés pendant la nuit.
La révolution russe est catastrophique pour le mouvement anarchiste, qui cesse totalement d’exister en Russie. La censure de la parole anarchiste est totale, et l’historiographie marxiste a passé sous silence le rôle des anarchistes dans la révolution russe, alors que les anarchistes ont été les premiers à formuler un critique totale du régime soviétique, qualifié de capitalisme d’État.
Par ailleurs, au sortir de la première guerre mondiale, la bourgeoisie capitaliste réprime partout les anarchistes :
– En Allemagne, envers les meneurs libertaires de la république des conseils de Bavière
– En Bulgarie, suite à l’insurrection du 23 septembre 1923, se déchaîne une terreur blanche
– En Argentine, avec la Semaine sanglante suite aux manifestations de la FORA
– En Colombie, avec le massacre des bananeraies, où des centaines d’anarcho-syndicalistes sont assassinés
– En Chine, lors du mouvement du 4 mai 1919
– Au Japon
– En Italie, où Malatesta dit que « La bourgeoisie fera payer par des larmes et du sang les tentatives révolutionnaires des prolétaires »
– Aux USA, avec la chasse aux sorcières et de gigantesques rafles à partir de 1917, et notamment la condamnation à mort de Sacco et Vanzetti en 1921
Ce sont les anarchistes, et non les communistes, qui inspirent aux autorités une véritable peur noire.
La guerre faite aux organisations syndicales et ouvrières a été d’une dureté aux USA qui n’a que très peur d’égal dans le monde occidental. Cette guère a été menée en collaboration avec la mafia.
Un mouvement très large se met en place en soutien à Sacco et Vanzetti, dans le monde entier, et ne concernant pas que des anarchistes. Même les communistes ont apporté leur soutien actif, alors qu’au même moment ils tuaient les anarchistes en Russie : c’est qu’ils ont instrumentalisé la cause de Sacco et Vanzetti pour en faire un symbole de la répression capitaliste, et pour gagner du capital sympathie auprès des travailleurs.
L’exécution de Sacco et Vanzetti en 1927 a brisé le mouvement anarchiste.
Alors que les fascismes montent dans la violence, les anarchistes sont les seuls à les combattre avec les armes. Ainsi, les libertaires et les IWW sont les seuls à combattre le KluKluxKlan aux États-Unis.
Les fronts antifascistes défendent généralement le moindre mal : allions-nous d’abord contre le fascisme, et on verra ensuite.
Mais les anarchistes n’acceptent pas cela : il faut certes combattre le fascisme militairement, mais aussi avec une révolution sociale, seul moyen de saper les bases économiques et sociales du fascisme, et donc seul moyen de le combattre réellement.
En juin 1926, Makhno et Archinov appellent à la plateforme : il s’agit de s’unir et de s’organiser, dans une organisation anarchiste structurée basée sur la responsabilité collective.
En Espagne, l’anarchisme a une réelle et ancienne base populaire, avec des centaines de milliers de militants. En 1936, quand la révolution espagnole éclate, les gens sont prêts, et le mouvement libertaire est organisé avec la CNT (Confédération Nationale du Travail) et la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique). La CNT est alors la première force sociale organisée dans le monde. À noter qu’elle ne fonctionnait qu’avec un seul salarié permanent ! À la fin du printemps 1939, la CNT compte 1,5 millions d’adhérents, dont la moitié sont en Catalogne.
Suite au coup d’État de Franco, les anarchistes vont faire à la fois la guerre et la révolution, comme Makhno l’avait fait en Ukraine.
Dès qu’un village est libéré, on y proclame le communisme libertaire. C’est l’une des plus grandes expériences de collectivisation de l’histoire. L’argent avait été aboli, ainsi que toute forme de bureaucratie. Les grandes décisions sont prises en conseil, les moyens de production sont récupérés par la collectivité.
En Catalogne, 75% des entreprises sont autogérées, sans baisse de production ni réduction des rendements.
Cette expérience prouve qu’il est possible de faire une société sans autorité ni gouvernement, ou avec le minimum.
Mais le 4 novembre 1936 un nouveau gouvernement est créé à Madrid, entre les républicains et les communistes. Quatre libertaires deviennent ministres, espérant contrôler le gouvernement et obtenir des armes pour les unités qui combattent. Ils n’obtiennent pas ces armes, et cela provoque une scission entre la base libertaire et ces quatre ministres. Les communistes profitent de ce désaccord. Ils appellent Durutti à Madrid, où celui-ci meurt dans des circonstances troublées.
Les anarchistes veulent la destruction du pouvoir, et ils sont plusieurs millions. Les communistes veulent prendre le pouvoir, et ils ne sont que 1000. Mais en moins d’un an, les communistes prennent le contrôle de la situation.
En mai 1937, ils mettent fin à la révolution libertaire. Tout commence avec la bataille de la Telefonica, au cours de laquelle les anarchistes et les trotskistes du POUM s’affrontent aux républicains et aux staliniens. En 7 jours, plus de 1000 personnes meurrent.
Puis le 25 mai, la FAI est exclue des tribunaux populaires. Le 6 juin, un décret rend illégales les collectivités rurales. Début août, le comité de défense de l’Aragon est dissout. Fin août, les critiques de l’URSS sont interdites. En 1938, le gouvernement annule tous les restes de la collectivisation et réintègre les grands propriétaires dans leurs droits. Le 1er avril 1939, c’est la fin de la guerre.
La suppression du mouvement fasciste n’aura même pas été le fait des fascistes, mais celui du gouvernement républicain en accord avec les staliniens. Le monde entier s’est ligné pour faire échouer cette expérience.