Transformation sociale & construction de « safer spaces » et de « brave spaces »
Tous les collectifs sont traversés par les structures de domination qui traversent l’ensemble de la société. Le fonctionnement en non-mixité (de classe, de genre, de race, etc.) permet de limiter un mécanisme de domination en excluant temporairement le groupe social dominant : cependant, les autres mécanismes perdurent.
L’objectif de transformation sociale vise à abolir ces rapports de domination.
Mais même si un jour les rapports de classe, de genre, de race, etc., n’existent plus, le fonctionnement en collectif restera un art et un défi. Parce que le débat et le conflit sont l’essence même de la démocratie. Parce que nous sommes traversé·es d’émotions et de sensibilité, et heureusement que nous le sommes.
Ainsi, au-delà de la lutte que nous devons mener contre les structures de domination dans la société, et contre leur reproduction partons où nous sommes, nous devons apprendre à communiquer entre nous de manière à pouvoir débattre sans nous battre, désapprendre les normes du capitalisme blanc patriarcal qui nous invitent à recourir à la force et à la violence pour imposer nos idées. Les éléments ci-dessous vont dans ce sens : construire des « safer spaces », ou plutôt des « brave spaces », c’est-à-dire des espaces plus sûrs, des espaces d’encouragement.
A chaque fois qu’on parle, on crée la possibilité de ne pas se comprendre
L’esprit des Lumières a voulu croire que nous étions des êtres rationnels… Eh bah non, pas seulement.
Quand nous communiquons, nous percevons beaucoup plus que des mots.
On capte beaucoup plus que ce qui est dit. Cela peut expliquer des sensations comme le fait d’être compris (face à une personne qui sait écouter), d’être en confiance (face à un bon commercial), ou au contraire d’être en défiance (face à un mauvais commercial, face à un menteur). Le plus souvent on ne sait pas percevoir et analyser ces sensations, qui sont pourtant réelles.
Le mot n’est pas la chose.
Chacun·e de nous formule ses pensées en fonction de ses codes personnels, et la personne à qui nous parlons va comprendre en fonction de ses codes à elle. Ces codes sont à la fois neurologiques (limites sensorielles à la perception) et socio-culturels (notre éducation, qui fonde notre système de croyance et nos automatismes de pensée). Ainsi, des biais de perception et d’interprétation, en plus de ces filtres neurologiques et socio-culturels, font varier le sens d’un message selon la personne qui le reçoit : « La carte n’est pas le territoire ».
Le sens du message est donné par le receveur.
Ainsi, il ne suffit pas de dire qqch pour être compris·e, et il est de la responsabilité de la personne qui émet un message d’adapter celui-ci à celle à qui elle l’adresse, de manière à ce que cette dernière le comprenne. Inutile de dire « Tu n’as pas compris, je répète » : si ça ne marche pas comme ça, alors il faut faire autrement.
Et c’est encore pire quand on ne parle pas
Le silence
Que veut dire le silence de quelqu’un·e ? On a le plus souvent tendance à interpréter les silences : c’est ce qu’on appelle l’anticipation silencieuse. « S’iel ne dit rien, c’est qu’iel doit être d’accord », ou, au contraire, « S’iel ne dit rien, c’est qu’iel ne doit pas être d’accord ». Alors que ce qui est certain, c’est qu’on n’en sait rien.
L’écoute active
Nombre d’entre nous en sont incapables… Il s’agit d’écouter vraiment, sans jugement, pour essayer de comprendre ce que l’autre veut dire. Et cela suppose de ne pas être en train de préparer sa propre intervention dans sa tête.
La posture écoute active est favoriser par le fait de faire des relances sous forme de reformulations, pour s’assurer qu’on a bien compris et inviter éventuellement la personne à préciser ses propos, et de poser des questions dites ouvertes, c’est-à-dire des questions qui appellent un développement et non une réponses par « oui » ou par « non ». Par exemple : Qui ? Quand ? Depuis quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
On a les symptômes qu’on peut
Ce qu’on dit est parfois moins intéressant que ce pourquoi on a choisi de dire ça maintenant… Typiquement, quand on s’engueule parce que l’autre n’a pas vidé la poubelle, le vrai problème est probablement autre part.
Les manipulations par le langage
La langue de bois
Langage flou, qui permet une adhésion maximum de l’interlocuteurìce. En effet, en écoutant un discours en langue de bois, chacun·e pourra mettre ce qu’iel veut derrière ce qui est dit (à l’inverse d’un discours concret, spécifique et direct). « À nous de faire ce qu’il faut », « Un peu de bon sens ! ».
Les formulations manipulatrices
Cela consiste à mettre l’autre dans un état d’impuissance, à lui couper l’herbe sous le pied, à le forcer à prendre la position qu’on veut qu’iel prenne. Ce sont des mécanismes particulièrement difficiles à identifier.
Par exemple, le grand annulateur de Chomsky : « Je suis d’accord avec toi, mais… ».
Ou des formules du type « Comme vient de le dire Bidule, … » (alors que ce n’est pas du tout ce que Bidule a dit).
Ou encore « Il est évident que… » : présenter ce qu’on avance comme évident revient à en interdire la contradiction (et voire même à penser la contradiction).
Le fond et la forme
Chaque discours transmet un fond, et utilise pour cela une certaine forme.
Un discours pointu sur le fond mais qui néglige la forme risque de ne pas être entendu.
Au contraire, un discours performant sur la forme mais faible sur le fond sera malheureusement agréable à entendre.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Excès d’enthousiasme // domination consentie
Dans un groupe, on a beau souhaiter que tout le monde soit égal :
- Certain·s font beaucoup, de leur propre gré, parce que « ça leur plaît »
- Ce qui en arrange d’autres qui, « de leur propre gré », se mettent dans une situation où iels deviennent de plus en plus incompétent·s.
C’est le principe de la soumission enchantée = la domination consentie.
Bourdieu a notamment montré ce mécanisme dans « La domination masculine » : c’est le paradoxe de la doxa. La soumission paradoxale est un effet d’une violence symbolique, qui entraîne une assimilation totale de la domination par la personne.
Mettre en place une rotation des mandats peut permettre de limiter ce mécanisme.
Recherche de reconnaissance, de légitimité // Manque de confiance en soi, auto-censure
Chacun·e a les névroses qu’iel peut… Et rares sont les personnes qui n’ont pas une de ces deux névroses :
- Besoin de reconnaissance et de légitimité
- Manque de confiance en soi
A cause de cela, les premièr·s vont avoir tendance à prendre beaucoup de place, ce qui ne va pas aider les second·es qui ont, déjà à la base, tendance à s’auto-censurer
Pour limiter ce biais, mettre en place des contraintes à la prise de parole semble indispensable.
Biais possibles dans la prise de décision en collectifs
Qu’est-ce que le consentement ?
C’est une acceptation de la décision collective, en l’absence d’opposition majeure, et même si on n’est d’un avis différents.
Ainsi, le consentement est un accord temporaire, qui ne doit pas nier l’existence d’avis divergents.
Deux exemples de biais provoquant fréquemment des décisions absurdes
- Perdre de vue ce qu’on veut vraiment
C’est l’histoire du Pont de la rivière Kwaï. On se concentre sur ce qui ne devrait être qu’un moyen ou qu’une étape, en oubliant notre réel objectif.
- Ne pas remettre en cause, ne pas questionner
On donne autorité à la personne qui est censée savoir, on ne la remet pas en cause, on lui « fait confiance ». Or elle n’a pas forcément raison.
=> Les livres de Christian Maurel sur « Les décisions absurdes » sont tout à fait passionnants à ce sujet.
Les paradoxes de la participation
C’est l’éternel débat du « tout ou rien ». Faut-il s’investir dans la « démocratie participative », et croire en des institutions telles que la Commission nationale des débats publics, alors qu’on connaît trop bien leurs biais et leurs limites ?
En Suisse, le consensus est utilisé comme garantie de la paix sociale, et comme liquidateur des cultures du conflit…
bonjour,
Qu’est-ce que » l’histoire du Pont de la rivière Kwaï »?
Merci.
Bonjour,
Dans « Le pont de la rivière Kwaï », le colonel Nicholson, prisonnier britannique, oublie peu à peu que le pont qu’il est en train de construire avec ses soldats lui est commandé par leurs ennemis japonais contre qui ils sont en guerre. La tâche qu’il est en train de réaliser (construire le pont) supplante son objectif réel (s’évader et gagner la guerre). Lire ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Pont_de_la_rivi%C3%A8re_Kwa%C3%AF_%28film%29