À propos de l’ouvrage « Animons ! Avec joie et ambition – Un manuel pour les éducateurices populaires, leurs collègues et leurs allié·es » de Sébastien Hovart (2024)
Il existe une fâcheuse tendance à penser l’animation comme une activité dépolitisée (cf Histoire de la dépolitisation de l’animation socioculturelle). Si on considère que l’animation a un lien avec l’éducation populaire, alors on ne peut s’en satisfaire. Mais au-delà de dénoncer et éventuellement politiser ses propres pratiques, comment agir ?
Les formations initiales à l’animation sont le plus souvent totalement dépolitisées, et beaucoup d’animateurices pensent qu’être « professionnel·le » revient à être « neutre ».
« Animons ! Avec joie et ambition » regorge de ressources intellectuelles, théoriques et pratiques pour voir et pratiquer autrement le métier d’animateurice : pour se donner les moyens de l’exercer avec une visée sociale de dévoilement/conscientisation des dominations et des inégalités et d’accroissement des capacités démocratiques individuelles et collectives. Dans ce livre, Sébastien Hovart nous partage « tout ce que j’aurais bien aimé qu’on me transmette et qu’on m’explique pour construire mon métier d’animateur » : dans une perspective de transmission entre pairs, il nous offre ses apprentissages, ses réflexions et ses pratiques, et c’est un très beau et précieux cadeau qu’il nous fait. Ne vous laissez pas impressionner par la taille de ce cadeau (500 pages !) : l’ouvrage est très aéré avec une grande police, des paragraphes courts et des renvois dans tous les sens qui invitent à picorer sans se mettre la pression. D’ailleurs Sébastien a même formalisé quelques « parcours » pour se balader dans le livre selon ses intérêts principaux (voir en fin d’article). Et puis il y a de très chouettes illustrations ainsi que des centaines de petites citations formidablement bien choisies, issues pour beaucoup de la science-fiction dont Sébastien est fan, mais aussi de Kaamelott, de chansons, ou encore de sa fille dont la répartie est impressionnante !
Un manuel pour les animateurices, mais aussi pour les profs, les militant·es, et tant d’autres
Sébastien défend dans son livre qu’animateurice, c’est un métier, et il est convaincant sur ce point : c’est un artisanat qui s’apprend en pratiquant et qu’on n’a jamais fini d’apprendre. Mais c’est aussi une posture et une ambition, et c’est pourquoi ce livre intéressera bien au-delà des animateurices de métier : il sera une mine d’or pour les profs qui manquent tant de formation sur « comment transmettre ? », ainsi que pour les militant·es qui s’interrogent sur « comment mobiliser, comment favoriser des dynamiques collectives émancipatrices et puissantes ? »
Présentation de l’ouvrage
L’animation : un métier politique d’artisanat
Chapitres « Éducation populaire » et « L’animateurice »
Qu’est-ce qu’être animateurice ? Faut-il est sociable et extraverti·e pour être un·e bon·ne animateurice ? Qu’est-ce qui fait une bonne animation ?
L’ouvrage débute par une affirmation : « L’éducation populaire, c’est un truc d’optimiste » qui se base sur « deux idées incontournables : les gens peuvent s’améliorer et se libérer de leurs contraintes et de leurs dominations. Le monde peut changer, nous pouvons le changer. »
Et Sébastien Hovart l’affirme : il est nécessaire d’articuler radicalité et pragmatisme, d’avoir des analyses et des finalités radicales tout en mettant en œuvre une posture et des actions pragmatiques, sans cesse adaptées et réinventées, surtout pas une posture quotidienne radicale et intransigeante. Car l’émancipation est un parcours qui nous amène à devoir déconstruire beaucoup de choses qu’on nous a inculquées et qu’on veut nous imposer au quotidien : désapprendre les réflexes de compétition et d’obéissance pour apprendre à fonctionner en coopération et en exerçant notre esprit critique et notre responsabilité. C’est la finalité d’une éducation qui serait émancipatrice, et non pas utilitariste.
Sébastien Hovart défend qu’être animateurice, c’est un métier, et un métier qui peut s’appliquer à toute dynamique collective : l’animation d’activité, mais aussi l’animation de projet ou d’instance. C’est un métier qui s’apprend, pas un « savoir-être » qui renverrait à notre identité, à quelque chose qui nous serait prétendument inné : « animer, c’est du faire, pas de l’être ». C’est faire avec des humains, y compris avec leurs émotions, et avec notre sensibilité comme outil de travail pour réagir face aux groupes. Et cela mène à une question éthique : puisque animer vise à agir sur les dynamiques collectives et qu’éduquer vise à transformer des personnes, ce sont des activités qui sont tout sauf neutres : quelle est alors la limite avec la manipulation ?
La forme au service du fond
Chapitres « Posture », « Construire des animations », « Gestes d’animation » et « Outils »
Très concrètement : pourquoi et comment varier les formes ? Comment animer un débat ? Comment réagir face au réel qui ne se déroule jamais comme on l’avait prévu ? Comment penser la question de la mobilisation ? Pourquoi et comment utiliser le jeu comme un outil ?
La posture est le premier instrument de travail de l’animateurice : c’est « l’ensemble des messages que l’on envoie avant même de faire activement quoi que ce soit : la manière de se tenir, de se présenter, de s’habiller ».
Vient ensuite la réflexion sur les objectifs poursuivis et les stratégies et tactiques que l’on va utiliser pour les atteindre. Penser les rythmes, la dynamique du groupe en lui-même, l’influence qu’on a sur le groupe, la pédagogie, le plaisir, l’animation des désaccords et des conflits, le travail collectif d’analyse, la mobilisation, l’évaluation de nos actions.
Puis les gestes : « On peut animer sans outils, mais pas sans gestes d’animation ».
Et enfin les outils, avec la présentation d’outils pour l’inclusion, l’expression, d’outils pour trier, conscientiser, transmettre, décider.
Sébastien nous transmet plein de façons de faire, tout en nous mettant en garde contre des dérives ou des erreurs communes : penser la mobilisation comme si on était des publicitaires qui voudraient vendre leurs produits ; proposer des quizz alors que cela ne produit que du contrôle des connaissance (a-t-on la bonne réponse ou non ?) et en aucun cas de la réflexion collective. Sébastien nous aide à décrypter ces écueils et à y trouver des alternatives.
Comprendre, transmettre et agir
Chapitres « Rapports sociaux » et « Politique »
Les deux derniers chapitres de l’ouvrage proposent un véritable renforcement critique et politique pour comprendre comment fonctionne notre société, et donc ce qu’il faut changer. Cette partie est selon moi très puissante pour trois raisons.
D’abord, parce qu’elle vulgarise de façon très claire des contenus sociologiques et politiques que personnellement je n’ai pas souvenir d’avoir déjà lus de façon aussi éclairante en si peu de pages. Ce ne sont pas les publications fouillées et de qualité qui manquent, mais pour les personnes éloignées de ces débats, la plupart des sources sont inaccessibles notamment parce qu’elles sont beaucoup trop spécialisées, diverses et nombreuses : ce qui est une qualité par ailleurs, mais qui ne facilite pas l’accès quand on ne sait pas par où commencer. L’ouvrage propose par exemple une classification des grandes idéologiques politiques en sept familles : l’anarchisme, le socialisme, le communisme, l’écologisme, le libéralisme, le conservatisme et le nationalisme. Évidemment ces familles simplifient la réalité, mais Sébastien Hovart assume qu’il faut « faire crier les spécialistes » si on veut permettre aux non-spécialistes de développer leurs propres analyses et de s’autoriser à s’inviter dans les débats, et éventuellement d’aller ainsi plus loin. Il développe également les thèmes de la démocratie, du conflit, de la lutte, de la transformation sociale, de l’utopie et du pouvoir.
Ensuite, parce qu’elle fait le lien directement avec les façons d’agir : ce qu’on peut faire pour tâcher de faire changer cet état de fait. Les analyses sociologiques s’en tiennent le plus souvent à l’établissement d’un constat nécessaire mais qui ne donne pas toujours le sentiment de pouvoir avoir prise. Et la tradition politique majoritaire en France, basée sur le principe de « démocratie » représentative, fait que très souvent les écrits politiques se concluent par « votez pour nous »… Sébastien Hovart nous invite à agir sans tomber dans l’illusion des « sociogestes » (parallèle qu’il fait avec les « écogestes » comme par exemple faire pipi sous la douche), qui sont bienvenus mais largement insuffisants pour provoquer le réel changement souhaité.
Enfin, parce qu’en parallèle de ces éclairages, Sébastien Hovart nous transmet des pistes pour partager à notre tour ces analyses à des groupes. Il nous partage y compris la façon dont il a appris à réagir face aux différents types de résistance ou d’enthousiasme débordant qu’il rencontre quand lui-même transmet ces éléments. L’ouvrage comprend par exemple les outils d’animation que Sébastien utilise pour animer un temps sur les sept familles politiques présentées plus haut (et l’ensemble des outils d’animation qu’il a créé est en partage en Creative Commons sur son site https://sebformation.fr/).
Toute cette transmission, il nous montre comme il la fait avec une posture « éducation populaire », c’est-à-dire non pas en transmettant un contenu, des démonstrations, des explications à un public réduit à l’écoute et à l’apprentissage passif. « Éduquer, ce n’est pas remplir des vases, c’est allumer des feux », cite-t-il : c’est en favorisant l’analyse de leurs propres situations et environnements que Sébastien Hovart amène les groupes à prendre étape par étape conscience de la façon dont est structurée et fonctionne la société, et de ce qu’il faudrait changer pour aller vers davantage de justice sociale.
Et ce que je trouve génial, c’est que c’est dans le chapitre « Politique » que Sébastien Hovart nous amène un éclairage sur l’histoire de l’éducation populaire. Ce faisant, il nous prouve avec brio que l’éducation populaire est bien une démarche politique, issue des mouvements sociaux qui ont lutté et luttent pour l’émancipation et la transformation sociale.
Où trouver l’ouvrage et les ressources liées ?
Cet ouvrage est une nouvelle preuve de l’énorme envie de transmettre de Sébastien Hovart. Il nous y dévoile la façon dont il s’y prend pour le faire d’une façon qu’il tâche d’être la plus émancipatrice possible. Sébastien est animateur : il forme notamment les professionnel·les du secteur de l’animation socioculturelle, cherchant à leur transmettre des pistes pour faire de leur métier un artisanat politique. Son ouvrage est un outil pour partager encore plus largement sa conviction et sa pratique.
En parallèle, n’hésitez pas à consulter son site ressource https://sebformation.fr/ ainsi que son site https://www.2nddegre.fr/.
L’ouvrage est édité en autoédition. Il se commande ici en ligne, mais en le commandant en librairie vous soutenez les librairies et accessoirement vous évitez de payer les frais de port !
Une version pdf est par ailleurs téléchargeable sur le site de Sébastien (mais l’investissement dans le livre papier vaut le coup et sera plus pratique pour le consulter !
Les contenus du livre de Sébastien Hovart sont édités sous licence Creative Commons.
Des parcours (très) partiels et rapides pour naviguer au sein du livre
Parcours proposés par Sébastien Hovart (17 novembre 2024)
« Comme on me l’a justement fait remarquer : 500 pages, ça peut faire peur. Même si j’ai fait des efforts pour que ce soit vivant, et même si j’encourage à picorer et y aller de manière détendue. En tout cas pour certain-es. Et comme j’ai vraiment envie que ça puisse être abordé par toutes et tous dans nos réseaux et métiers, je vous propose une série de parcours, petits, chacun étant une sélection sur un thème. Comme chaque partie fait en moyenne un ou deux pages, ça ne fais pas un trop gros volume et on y rentre par une question. Vous me direz si ça fonctionne… »
Parcours “J’ai envie de découvrir ce que c’est l’Educ pop ?”
- C’est quoi l’éducation populaire ? : p.9
- Un truc d’optimiste : p.10
- Les cousins : p.31
- Animer c’est un métier : p.36
- Fliquer, sauver : p.84
- Ne pas prendre les gens pour des cons : p.86
- Voir Comprendre Agir : p.168
- Le temps d’animation comme rupture : p.323
- Être allié-es : p.346
- Histoire de l’éduc pop : p.466
- Domestication : p.472
- Aujourd’hui, plus que jamais : p.475
Parcours “Je suis animateurice et je veux bien quelques billes en plus”
- Animer c’est un métier : p.36
- Je ne suis pas tout-e seul-e : p.15
- Animer ça s’apprend : p.41
- Être sociable, ou pas : p.50
- Animer quoi ? : p.40
- Posture, gestes et outils : p.66
- Gestes en animation d’activité : p.185
- 3 cercles : p.73
- Plus qu’un rythme : p.123
- Obligation de moyens : p.178
Parcours “Les inégalités, je veux bien me poser des questions dessus et en parler”
- Voir les dominations : p.278
- Émotions, la base : p.54
- Juste et injuste : p.61
- Domination, oppression, exploitation : p.282
- Asymétrie des regards : p.283
- Les stéréotypes comme structure : p. 292
- Norme : p.291
- Se distinguer : p.301
- Codes et capitaux : p.311
- Mépris de classe : p.314
- Une gueule d’universel, ou pas : p.317
- Aliénation : p.319
- Dissonance cognitive : p.344
- Travailler les valeurs directement : p.380
Parcours “Je voudrais accompagner mes groupes à parler de rapports sociaux, d’inégalités et à prendre conscience de tout ça.”
- Voir les dominations : p.278
- Un objectif d’émancipation collective : p.17
- Être alliéè-es : p.348
- Que ça devienne un sujet : p.279
- Réactions quand on y confronte nos publics : p.335
- Les nouveaux convertis : p.338
- Construire sa posture à soi : p.90
- La colère en animation : p.56
- Apprendre à se taire : p.48
- Je ne sais pas : p.50
- Anti-magicien-ne : p.134
- Dire oui : p.188
- Manipulation, éthique : p.52
- La place des statuts : p.128
- Outils d’expression : p.222
- Prise de parole : p.307
- Une éducation au conflit : p.436
- Des outils pour conscientiser : p.240
- Piliers d’estime : p.353
- Les temps d’animation comme rupture : p.323
- Stratégies de dominé-es : p.357
- Aujourd’hui, plus que jamais : p.475
Parcours “La politique, je sais pas par quel bout la prendre mais pourquoi pas”
- Pourquoi se préoccuper de politique : p.384
- Un manque flagrant : p.385
- Une grille de lecture : p.387-414
- Voir les dominations : p.278
- Idéologies et rapports sociaux : p.419
- Démocratie : p.426
- Trois piliers : p.442
- Un imaginaire positif des luttes : p.452
- Conflit : p.430
- Histoire de l’éducation populaire : p.466
- Domestication : p.472
- Utopies : p.456
- Mot de la fin : p.499