« Aux États-Unis, certaines stratégies d’empowerment des citoyens valorisant des engagements courts, informels et fun, ont conduit à une atonie politique des associations. Accepter le conflit et une forme de professionnalisation est pourtant une condition essentielle si l’engagement associatif doit avoir une action transformatrice dans la société, ce qui demande un plus grand rôle de l’État. »
« L’essentiel n’est pas de participer : engagement associatif et transformation personnelle ». Un article de Julien Talpin, publié dans La vie des idées en décembre 2011. Lire ici l’article complet.
En voici quelques extraits choisis, l’idée étant de vous donner envie de lire cet article…
Extraits choisis
Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait qu’ils sont extraits de leur texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de cet article.
La fabrique de la citoyenneté se transforme souvent en machine de dépolitisation et d’acceptation des inégalités. Ce n’est qu’exceptionnellement que l’empowerment se produit, mais rarement là où on l’attend.
Définition de l’empowerment : « Le processus par lequel un individu et/ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action lui permettant d’accéder au pouvoir individuel et collectif. [Cette notion] articule deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder ».
(Par Carole Biewener et Marie-Hélène Bacqué.)
Une des caractéristiques fondamentales [de ces organisations] est d’euphémiser les inégalités structurelles et les rapports de pouvoir.
Le cœur du langage de l’empowerment est ainsi de faire oublier les inégalités structurelles, pour mettre en avant les opportunités qui ne manqueront pas de se présenter à ceux qui auront réussi à s’émanciper grâce à leur participation.
Plutôt que de rappeler les inégalités statistiques, et les chances beaucoup plus faibles des noirs ou des pauvres de parvenir à l’université ou d’éviter la prison et la toxicomanie, les projets d’empowerment ne cessent à l’inverse de rappeler que certains individus s’en sortent.
Il s’agit d’ignorer les inégalités pour éviter de stigmatiser ceux qui sont déjà au plus bas de l’échelle sociale, et ainsi rendre la vie commune possible.
Le civique est déconnecté du politique au États-Unis.
La dépolitisation de la vie civique américaine est liée à l’individualisation des problèmes sociaux.
Les inégalités sociales n’ont pas de place dans les discussions publiques.
Loin de produire de l’empowerment, la participation dans ces organisations semble produire des citoyens dociles.
Le « plug-in volonteering« , que l’on pourrait traduire par bénévolat à la carte.
Alors qu’on pourrait aisément penser que ces quelques heures données, même de façon intéressée, sont toujours bonne à prendre, Eliasoph démontre qu’elles font souvent plus de mal que de bien.
Une citoyenneté intermittente.
S’appuyant sur Arendt, Eliasoph promeut en filigrane une conception assez classique de l’éducation (civique), reposant sur une transmission descendante et relativement autoritaire du savoir. À l’encontre d’une conception plus souple et horizontale de l’éducation prônée par les empowerment projects, qu’elle situe à la suite de Boltanski et Chiapello au cœur du nouvel esprit du capitalisme.
Au-delà de la forme prise par la participation (plus ou moins procéduralisée, plus ou moins délibérative ou inclusive), c’est avant tout l’intensité de l’expérience qui est à même de marquer suffisamment les acteurs pour éventuellement les transformer durablement.
Au-delà des réflexions sur le temps et la durée […], elle dégage d’autres conditions favorables à l’empowerment […] :
- Les règles au cœur de l’organisation doivent être clairement explicitées et reconnues, à l’opposé de la philosophie plus fluide des associations américaines.
- Plutôt que d’éviter le conflit, ces organisations devraient accepter de s’y confronter.
La reconnaissance consciente et publique des inégalités, des frontières et des stratifications sociales constitue une première étape pour les dépasser. - La reconnaissance des vertus d’expertise.
Quand des processus effectifs d’empowerment se produisent, les acteurs deviennent presque inévitablement des experts, capables eux-mêmes en retour de former d’autres membres.
La loi d’airain de l’empowerment : les individus émancipés s’éloignent inévitablement de la base une fois devenus experts.
C’est quand une réelle confiance et familiarité se nouent entre jeunes et adultes, quand l’atmosphère se détend et devient plus « naturelle », que des transmissions et des apprentissages deviennent possibles.
C’est quand les groupes se retrouvent entre eux que des blagues fusent, des critiques sont énoncées et parfois des discussions politiques s’enclenchent. Empowerment et mixité sociale et raciale ne semblent dès lors pas aller de pair.
La compétence civique ne serait donc pas qu’une question de dispositions individuelles ou collectives, mais également un produit des situations d’interaction.
Répétition dans le temps, règles du jeu clairement définies, acceptation du conflit et de l’expertise constituent les quatre piliers des processus d’empowerment.
Le système de financement par projet est extrêmement pernicieux puisqu’il sape, presque structurellement, les conditions de réussite de l’empowerment. Alors que celui-ci nécessite du temps et de la répétition, la pèche à la bourse requiert à l’inverse d’innover en permanence et de mettre en place de nouvelles actions.
Faut-il s’étonner que l’empowerment des acteurs soit impossible dans des espaces sans pouvoir (les organisations étudiées ne contribuant pas en tant que telles à changer la condition des individus et des groupes marginalisés) et qui n’interrogent pas les relations de pouvoir dans les sociétés contemporaines ?
« Dans des conditions appropriées, l’accumulation de ces actes insignifiants peut, comme des flocons de neige agglutinés sur le flanc d’une montagne, déclencher une avalanche ».
J. Scott, La domination et les arts de la résistance, Fragments du discours subalterne.