Quelques extraits choisis du « King Kong Théorie » de Virginie Despentes, l’idée étant de vous donner envie de lire tout le livre…
Extraits choisis
Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait que je les présente ici hors du texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre.
Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas boniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toute façon je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas.
C’est tout de même épatant, et pour le moins moderne, un dominant qui vient chialer que le dominé n’y met pas assez du sien…
Il y a une fierté de domestique à devoir avancer entravées, comme si c’était utile, agréable, ou sexy.
Il faut minorer sa puissance, jamais valorisée chez une femme : « compétente » veut encore dire « masculine ».
C’est en fait un moyen de s’excuser, de rassurer les hommes.
J’ai les moyens de vivre autre chose, mais je décide de vivre l’aliénation via les stratégies de séduction les plus efficaces. Les femmes adressent aux hommes un message rassurant : n’ayez pas peur de nous.
Soyons libérées, mais pas trop. Nous voulons jouer le jeu, nous ne voulons pas des pouvoirs liés au phallus, nous ne voulons faire peur à personne.
Les femmes se mettent en position de séductrices, réintégrant leur rôle, de façon d’autant plus ostentatoire qu’elles savent que, dans le fond, il ne s’agit plus que d’un simulacre.
Depuis toujours, sortir de la cage a été accompagné de sanctions brutales.
C’est l’idée que notre indépendance est néfaste qui est incrustée en nous jusqu’à l’os.
La révolution féministe des années 1970 n’a donné lieu à aucune réorganisation concernant la garde des enfants.
Nous manquons d’assurance quant à notre légitimité à investir le politique.
Délaisser le terrain politique comme nous l’avons fait marque nos propres réticences à l’émancipation.
Il faut oublier d’être agréable, serviable, il faut s’autoriser à dominer l’autre, publiquement.
Quand Sarkozy réclame la police dans l’école, ou Royal l’armée dans les quartiers, ça n’est pas une figure virile de la loi qu’ils introduisent chez les enfants, mais la prolongation du pouvoir absolu de la mère.
Nous régressions vers des stades d’organisation collective infantilisant l’individu.
Les corps des femmes n’appartiennent aux hommes qu’en contrepartie de ce que le corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l’État, en temps de guerre.
Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité.
Sur le viol
Dans la plupart des cas, le violeur s’arrange avec sa conscience, il n’y a pas eu de viol, juste une salope qui ne s’assume pas et qu’il a suffit de savoir convaincre.
J’avais la peau dure, j’avais bien encaissé et autre chose à foutre dans la vie que laisser trois ploucs me traumatiser.
« Une femme qui tiendrait à sa dignité aurait préféré se faire tuer ».
Penser le viol comme un risque à prendre, inhérent à notre condition de filles. C’est une liberté inouïe, une dédramatisation.
Il ne s’agissait plus de nier, ni de succomber, il s’agissait de faire avec.
Une entreprise politique ancestrale, implacable, apprend aux femmes à ne pas se défendre.
Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force, alors que cette même société m’a inculquée l’idée que c’était un crime dont je ne devais pas me remettre.
En France, on ne tue pas les femmes à qui c’est arrivé, mais on attend d’elles qu’elles aient la décence de se signaler en tant que marchandise endommagée, polluée.
Toujours coupables de ce qu’on nous fait. Créatures tenues pour responsables du désir qu’elles suscitent.
Le viol, l’acte condamné dont on ne doit pas parler, synthétise un ensemble de croyances mentales concernant la virilité.
Fantasme du viol : les saintes, attachées, brûlées vives, les martyres ont été les premières images à provoquer chez moi des émotions érotiques.
C’est un dispositif culturel prégnant et précis, qui prédestine la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance, c’est-à-dire de la supériorité de l’autre, autant qu’à jouir contre leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe.
Être attirée par ce qui détruit nous écarte toujours du pouvoir.
Sur la prostitution
[Remarque préalable : Cette analyse de Virginie Despentes à propos de la prostitution, je la partage d’un point de vue théorique. Mais elle passe totalement sous silence une réalité incontestable : l’extrême majorité des femmes prostituées le sont contraintes et forcées, dans le cadre de systèmes mafieux. L’analyse de Virginie Despentes ne peut donc s’appliquer à la réalité de la prostitution aujourd’hui en France, mais est extrêmement intéressante d’un point de vue théorique, notamment en ce qui concerne d’une part les similitudes entre contrats prostitutionnels et contrats de mariage, et d’autre part la pression exercée sur les femmes pour qu’elles ne soient pas « des putes ».
Sur la prostitution, je conseille par exemple la lecture de l’article « L’utopie libérale du service sexuel », de Mona Cholet, à lire ici]
Si le contrat prostitutionnel se banalise, le contrat marital apparaît plus clairement comme ce qu’il est : un marché où la femme s’engage à effectuer un certain nombre de corvées assurant le confort de l’homme à des tarifs défiant toute concurrence. Notamment les tâches sexuelles.
Aucun besoin d’être une méga-bombasse, ni de connaître des secrets techniques insensés, pour devenir une femme fatale… Il suffisait de jouer le jeu. De la féminité.
On a peur qu’elles viennent dire que ça n’est pas si terrifiant, comme boulot. Et pas seulement parce que tout travail est dégradant, difficile et exigeant. Mais aussi parce que beaucoup d’hommes ne sont jamais aussi aimables que quand ils sont avec une pute.
Dans notre culture, de la séduction à la prostitution, la limite est floue, et au fond tout le monde en est conscient.
Bénévole et ludique, ma sexualité m’est apparue infiniment plus confuse.
Il y a une comparaison possible entre la drogue dure et le tapin.
Entre la féminité telle qu’elle est vendue dans les magazines et celle de la pute, la nuance m’échappe toujours. Et bien qu’elles ne donnent pas clairement leurs tarifs, j’ai l’impression d’avoir connus beaucoup de putes, depuis.
Ce qui est irrecevable, ce n’est pas qu’une femme soit matériellement gratifiée de ce qu’elle satisfait, le désir d’un homme. C’est qu’elle le demande explicitement.
Aucune femme ne doit tirer bénéfice de ses services sexuels hors le mariage. En aucun cas elle n’est assez adulte pour décider de faire commerce de ses charmes. Elle préfère forcément faire un métier honnête. Qui est jugé honnête par les instances morales. Et non dégradant. Puisque le sexe pour les femmes, hors l’amour, c’est toujours dégradant.
La sexualité masculine doit restée criminalisée, dangereuse, asociale, menaçante.
Qu’il jouisse en payant s’il le veut, mais alors qu’il côtoie la pourriture, la honte, la misère.
Freud : le courant tendre et le courant sensuel n’ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre d’êtres civilisés. Presque toujours l’homme se sent limité dans son activité sexuelle par le respect pour la femme et ne développe sa pleine puissance que lorsqu’il est en présence d’un objet sexuel rabaissé, ce qui est aussi fondé, d’autre part, sur le fait qu’interviennent dans ses buts sexuels des composantes perverses qu’il ne se permet pas de satisfaire avec une femme qu’il respecte.
Les hommes ont ceci de très particulier qu’ils tendent à mépriser ce qu’ils désirent, ainsi qu’à se mépriser pour la manifestation physique de ce désir.
Le désir des hommes doit blesser les femmes, les flétrir. Et, en conséquence, culpabiliser les hommes.
Interdire l’exercice de la prostitution dans un cadre légal adéquat, c’est interdire spécifiquement à la classe féminine de s’enrichir, de tirer profit de sa propre stigmatisation.
Quand les hommes se rêvent en femmes, ils s’imaginent plus volontiers en putes, exclues et libres de circuler, qu’en mères de famille soucieuses de la propreté du foyer.
C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne de ce qui l’est pas.
Sur la pornographie
Le problème que pose le porno, c’est d’abord qu’il tape dans l’angle mort de la raison. Il s’adresse directement aux centres des fantasmes, sans passer par la parole, ni par la réflexion.
Ce qui nous excite, ou pas, provient de zones incontrôlées, obscures ; et rarement en accord avec ce qu’on désire être consciemment.
Ce qui est bon pour quelques uns, ici nommé libertinage, relèverait pour les masses d’un danger dont il faudrait absolument les protéger.
Dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Comme un homme s’il avait un corps de femme.
L’homme doit « savoir s’y prendre ». Comme dans La belle au bois dormant, il se penche sur la belle et la fait grimper aux rideaux. Les femmes entendent le message, et comme d’habitude prennent à cœur de ne pas offenser le sexe susceptible.
À quel moment les femmes se connectent-elles avec leurs propres fantasmes, si elles ne se touchent pas quand elles sont seules ?
Nous sommes formatées pour éviter le contact avec nos propres sauvageries.
Pars Hilton : avant d’être une femme, soumise à un regard d’homme, elle est une dominante sociale, pouvant occulter le jugement du moins nanti.
King Kong Girl
Pourquoi les mères encouragent-elles les petits garçons à faire du bruit, alors qu’elles encouragent les filles à se taire ? Pourquoi continue-t-on à valoriser un fils qui se fait remarquer quand on fait honte à une fille qui se démarque ?
Les femmes de pouvoir sont les alliées des hommes, celles d’entre nous qui savent le mieux courber l’échine et sourire sous la domination.
Toutes les bonnes femmes qu’on voit se sentent obligées de jouer un petit décolleté, une paire de boucle d’oreilles, les cheveux bien coiffés, preuves de féminité, gages de docilité.
Plus un type manque de qualités viriles, plus il est vigilant sur ce que font les femmes.
La féminité, c’est la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. C’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure.
Être complexée, voilà qui est féminin. Effacée. Bien écouter. Ne pas trop briller intellectuellement. Juste assez cultivée pour comprendre ce qu’un bellâtre a à raconter. Bavarder est féminin.
Parmi les choses qu’on a bien inculquées aux hommes, il y a la peur d’être PD, l’obligation d’aimer les femmes.
Les femmes sont des lascars comme les autres, et les hommes des putes et des mères, tous dans la même confusion.