Je vous propose quelques extraits choisis de l’introduction par Jean Gouriou à la première édition française du livre de Saul Alinsky « Rules for Radicals ».
Pour lire cette introduction dans son intégralité, c’est ici.
Extraits choisis
Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait que je les présente ici hors du texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de l’ensemble du texte.
Community organizing & stratégie conflictuelle
Cet agitateur professionnel organise les quartiers pauvres sur la base des collectivités d’habitation et des communautés. Il sème la révolte dans toutes les grandes villes des États-Unis.
Méthode d’Alinsky en matière d’organisation communautaire : la « stratégie conflictuelle ».
Il reproche au travail social d’enfermer son action dans une thérapie d’adaptation et d’oublier les aliénations, les rapports de force, les systèmes d’oppression qui affectent l’ensemble de la société.
« Donnez tout votre argent, si vous le voulez, pour aider ceux qui accueillent et soignent les drogués, c’est votre affaire. Mais ici, à la NCO, cela ne nous concerne pas. Notre travail est de sauver une communauté, de restructurer un quartier qui part à vau-l’eau, de le faire en impliquant les habitants dans des manifestations où leurs intérêts sont engagés et en permettant à des leaders locaux d’émerger. Nous devons faire en sorte que notre peuple, ici, prenne ou reprenne son pouvoir. Vivre dans le quartier aura alors du sens. Mais ce n’est pas en aidant individuellement un malade que vous obtiendrez cela. Le trafic de drogue n’est pas organisé ici, ce n’est pas ici que nous pourrons le désorganiser. Nous ne sommes pas des assistantes sociales, nous sommes des travailleurs communautaires, des animateurs. À chacun son métier. Mais si vous êtes des cœurs sensibles, faites comme moi, donnez de temps en temps 10 dollars pour leurs bonnes œuvres. »
Pas de romantisme, mais du pragmatisme
« C’est un miracle que les jeunes ne veuillent pas réinventer la roue sous prétexte qu’elle nous a été léguée par une société bourgeoise et décadente ».
Il se méfie des idéologies étrangères, des idoles comme « Che » Guevara ou Mao, et en général de tout romantisme.
« Ils ne cherchent pas une révolution, mais une révélation »
Alinsky et ses organisateurs ignoraient le mot « militant » et l’autosatisfaction d’ordre moral qu’il charrie toujours lorsqu’on l’utilise pour soi-même. Des animateurs de la NCO disaient volontiers qu’il y a plus de capacité révolutionnaire chez les femmes de 40-50 ans des classes défavorisées que chez les jeunes intellectuels de gauche dont les loisirs et les discours coûtaient cher à tout le monde pour finalement peu d’utilité.
Dans leur action, ils ne connaissaient que l’empirisme. Cela ne signifie pas un laisser-aller, une médiocrité de la méthode, mais une création permanente qui intériorise à un tel point tout ce qui a été vécu précédemment que la solution s’impose.
Pour eux, il fallait toujours partir de qqch de limité et s’en servir comme d’un levier. La meilleure vue globale d’un problème n’est jamais donnée au départ, elle ne vient qu’au bout d’un moment : dans tout groupe, il y a des préalables indispensables à la définition des objectifs. À une condition cependant : un homme d’action ne se contente pas d’actions purement symboliques. Cris, défilés ou protestations officielles qui ne s’adressent à personne n’étaient pour lui que des liturgies inutiles qui dispensent de s’affronter et ne conduisent jamais à gagner du pouvoir. Il les interdisait à ses animateurs.
La méthode Alinsky
S’il a une conception anarchisante de la démocratie par son sens aigu de la liberté et de l’autodétermination, son action n’est ni romantique ni sauvage. Elle procède d’une stratégie élaborée dont les fondements sont les 3 idées forces suivantes :
– L’intérêt (que ce soit celui des individus, d’un groupe, d’une organisation), qui est pour lui la motivation première sur laquelle doit tabler l’animateur
– Le pouvoir à acquérir par l’organisation pour avoir droit au chapitre et modifier la structure du pouvoir
– La tactique du conflit comme technique d’intégration sociale du groupe contestant et de désintégration des fonctions du pouvoir contesté pour conduire celui-ci à la négociation et au compromis
Sa règle de conduite est immuable : l’autodétermination du peuple, organiser les gens pour les aider sans jamais les obliger.
Alinsky ne reste pas plus de 3 ans dans le même endroit : « Il faut s’imprégner de la communauté, la respecter, l’aider, puis s’en aller ».
Il faut être dans l’eau pour apprendre à nager
Shel Trapp accueillait un nouvel animateur en 10 minutes : « Tu vas dans la rue, voici ton secteur, tu connais les gens, tu découvres avec eux un problème pour lequel ils peuvent se mobiliser et qui peut être l’occasion pour eux de s’organiser, tu les réunis, vous décidez obligatoirement qqch à la fin de la réunion et, de préférence, une démarche contre quelqu’un. Il faut réussir (donc ne pas être ambitieux au départ) et célébrer la réussite. Après cela, le groupe existe, il le sait, et tu n’as pas le droit de le laisser mourir. D’ailleurs, on en reparlera 2 fois par semaine aux réunions générales des animateurs. Il faut être dans l’eau pour apprendre à nager et il y a peu de chose à savoir à l’avance, il ne faut surtout pas perdre son temps à en bavarder avant de commencer. »
« Ne perds pas ton temps à discuter de leurs problèmes personnels, il n’y a rien à organiser à partir de là ».
Pouvoir, programme, leadership. Le pouvoir vient d’abord, ce n’est qu’ensuite que l’on pense au programme, celui-ci permettra d’avoir plus de pouvoir et le leadership se constituera pendant ce temps.
Il y a, dans l’ordre : une situation inorganisée, l’arrivée de l’animateur, la saisie d’un problème mineur, une manifestation conduisant à un peu de pouvoir, la prise de conscience de ce pouvoir, le souci de mieux penser les problèmes et de se fixer de nouveaux buts, enfin, l’émergence de leaders. C’est une spirale ascendante vers plus de pouvoir et de reconnaissance sociale.
Stratégie de pression
Tout conflit doit conduire à la négociation. On appliquait une tactique du conflit très réaliste à la NCO : qui est le responsable ? quel est le fonctionnaire qui peut signer ? que peut-on raisonnablement exiger de lui ? Comment s’y prendre pour qu’il n’aime pas cela sans pour autant qu’il perde trop la face ? La mythologie du conflit était : l’ennemi, le piquet, l’affrontement, la négociation, la victoire, la fête.
Avant d’organiser un piquet, les responsables, les animateurs devaient savoir ce qu’ils demandaient ; le texte de la négociation, ils devaient l’avoir en poche, et ce texte devait être bien mesuré : pour gagner, et donc pour pouvoir célébrer une victoire, il ne fallait exiger que du possible.
Il faut savoir négocier simplement et ne jamais faire perdre réellement la face à quelqu’un dont on attend qu’il négocie avec vous.
« Il vaut mieux attaquer [le propriétaire] dans une réunion publique que de discuter poliment chez lui. Le résultat ne sera peut-être pas différent pour les appartements, mais pour [les locataires] ce sera une fête. Ils découvriront qu’ils ont du pouvoir et que lorsqu’on a du pouvoir on se heurte toujours à d’autres qui en ont aussi et qu’il faut négocier. Et puis, dans ces réunions, faites qu’il y ait de la controverse : les réunions sages ennuient les gens ».
Limites de la méthode Alinsky
Les militants des groupes du style « défense des consommateurs » sont souvent fragiles. Donnez-leur satisfaction dans le conflit précis où leur intérêt personnel est engagé, et ils oublient ensuite de se mobiliser pour le voisin.
Moments clefs du parcours d’Alinsky
Débuts en tant qu’organizer : en 1939, il organise « Back of the Yards », un bas-quartier situé derrière les abattoirs de Chicago.
En 1968, il crée l’Industrial Areas Foundation Institute, son IUT privé, une école pour « radicaux » financée pour 500000 dollars par Gordon Sherman, président de la Midas Muffler Compoany, et pour 250000 dollars par la Fondation Ford, sans compter les 2000 dollars de cachet de chacune de ses conférences.
Organiser les classes moyennes ?
Il semble qu’Alinsky, à la fin de sa vie, ait été persuadé que les forces révolutionnaires de demain sont à chercher aujourd’hui, non plus dans les minorités ethniques et raciales (en demeurant dans un contexte nord-américain), mais dans les classes moyennes qu’il est de plus en plus urgent d’organiser.
« Les classes moyennes sont engourdies, désemparées, épouvantées au point d’en être réduites au silence. […] Voilà la tâche du révolutionnaire d’aujourd’hui : souffler sur les braises du désespoir pour en faire jaillir une flamme pour le combat. »
Bonjour,
Où trouver le livre traduis en français svp?
Bonjour,
Il est distribué notamment par l’Alliance citoyenne. Vous pouvez les contacter de ma part (Adeline) à l’adresse : contact@alliancecitoyenne.org
Bonne lecture !