La précarité peut-elle être émancipatrice ? Pour le sociologue Patrick Cingolani, elle ne consiste pas seulement en une forme d’emploi dégradée, mais dessine des possibilités libératrices pour tous les travailleurs. Reste à mesurer ce potentiel révolutionnaire…
Je relaie ci-dessous des extraits d’une note réalisée par Cyprien Tasset, publiée sur le site de La vie des Idées, à propos du livre « Révolutions précaires. Essai sur l’avenir de l’émancipation », de Patrick Cingolani. En vous conseillant de le lire, car ces extraits, tirés de leur texte original… !
Les citations sont de Patrick Cingolani, citées par Cyprien Tasset.
L’émancipation dans la précarité
L’avenir de l’émancipation doit être recherché du côté des « formes de liberté des précaires ».
« Il n’y a pas de précarité qui soit une liberté« .
Les pratiques et les expériences des travailleurs précaires sont ambivalentes plutôt qu’unilatéralement dominées, et cette ambivalence recèle des pistes de réponse à plusieurs des impasses dans lesquelles sont actuellement enlisées les efforts d’émancipation.
Une figure de précaire caractérisée par une conscience très vive de l’emprise aliénante du travail sur le temps vécu.
Déclin de la « société salariale ».
« Ce n’est pas seulement le capital qui a mis le capital en crise, c’est également la dynamique historique de révolte contre la subordination portée par le mouvement social égalitariste et antibureaucratique des années 1960 »
Ni l’instabilité d’une main-d’œuvre juvénile rétive aux promesses du compromis fordiste, ni la volonté « d’arracher du temps pour une vie autre » n’étaient circonscrites à de petits groupes militants.
D’où aujourd’hui, en particulier chez les jeunes, un type de sensibilité face au travail fait d’un « désir de réalisation » ou « d’accomplissement » et d’une « défiance à l’égard des formes de contrôle disciplinaire ».
Dans une société aux sociabilités communautaires affaiblies, nombreux sont ceux qui cherchent l’ « authenticité » et l’affirmation de leur identité dans la reconnaissance de « ce qu’ils font plutôt que de ce qu’ils sont ». L’auteur en trouve une réalisation exacerbée parmi « les précaires des « industries culturelles »« .
Une « expérience de libération constamment traversée par les risques de l’exploitation et de la manipulation ».
Ambivalence de leur autonomie.
Un « horizon d’accomplissement dans le travail » qui relègue le niveau de revenu au second plan, une interpénétration entre le travail et l’intimité, une importance des réputations et des réseaux de sociabilités et une « recherche d’intensité » émotionnelle.
Le travail, irrégulièrement rémunérateur mais gratifiant, détourne de l’intérêt pour la consommation.
Une ambivalence précaire, en contestation des modèles dominants de réussite.
Coupure qui s’est opérée dès les années 1970 entre l’aspiration à l’autonomie et le salariat organisé.
En laissant les échappées vers l’autonomie dénuées de supports collectifs, il a favorisé leur perméabilité aux imaginaires aliénants de l’individualisme néolibéral.
« Agréger les travailleurs dans la temporalité discontinue de leur travail et de leur chômage » sans réduire leur autonomie.
Dans un contexte d’offensive conservatrice inouïe où la « famille » est présentée comme le seul rempart contre « l’individu isolé, solipsiste, assorti aux exigences de disponibilité totale du néolibéralisme », les sociabilités affinitaires des précaires ébauchent des solidarités qui échappent à cette alternative.
Les précaires des industries culturelles chez qui la précarité oscille entre assujettissement et libération.