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11 conseils pour être un-e bon-ne allié-e

Je reproduis ici un excellent article écrit par trois membres de l’association Lallab et publié sur leur site. Lallab est un magazine en ligne et une association dont le but est de faire entendre les voix des femmes musulmanes qui sont au cœur d’oppressions racistes et sexistes.


« Quand on présente l’association Lallab, c’est «drôle» mais on ne reçoit pas du tout les mêmes retours ! «On» c’est Sarah, musulmane et Justine, athée, toutes deux cofondatrices de Lallab, réalisatrices de la série documentaire Women SenseTour in Muslim Countries et féministes !
C’est simple, lorsque c’est Justine qui présente l’association on lui dit généralement que «c’est génial ce qu’elle fait», que c’est même «très altruiste de sa part d’aider les femmes musulmanes». Alors que lorsque c’est Sarah on lui rétorque plutôt que «c’est quand même un projet super communautaire, qu’il faudrait aussi parler des discriminations vécues par d’autres femmes». Certain.e.s rajoutent même qu’elle est «trop concernée par le sujet, trop passionnée et qu’elle n’a pas le recul nécessaire pour être très objective». Clairement, dans notre société, la parole d’une femme blanche et athée a plus de poids que celle d’une femme musulmane, même pour parler de son propre vécu.


Rappelons-le : la mission de Lallab est centrée sur les femmes musulmanes et l’une des valeurs centrales de l’association est la parole aux concernées. Mais à l’image de notre duo, les membres de Lallab – majoritairement des femmes – sont également très plurielles ! Puisque nous ne souhaitons surtout pas reproduire les rapports de domination de la société en notre sein, se pose donc la question de la place de chacun.e dans l’association et notamment des membres qui ne sont pas des femmes musulmanes, c’est à dire les « allié.e.s » !

Nous sommes tou.te.s les privilégié.e.s de quelqu’un

Le mot privilège à tendance à faire peur et à braquer les gens «comment pourrais-je être privilégié.e alors que je n’ai plus rien à manger à la fin du mois ?». Le mot privilège est souvent associé à la richesse, alors que le concept tel qu’employé ici est beaucoup plus large. Un privilège, c’est un pouvoir ou une immunité particulière que l’on détient sans avoir fait d’effort pour l’obtenir, et qui nous facilite la vie sans qu’on en ait nécessairement conscience, et sans qu’on l’ait demandé. Ce n’est ni bien ni mal en soi, mais c’est important d’en avoir conscience.
Être valide, par exemple, c’est être en position de privilège face à une personne en situation de handicap, pour qui le simple fait de se déplacer peut être un combat de chaque instant, ou qui met parfois des années à faire reconnaître sa pathologie, … Dans le vocabulaire militant, on insiste sur le fait qu’il est important de « checker ses privilèges », c’est-à-dire de faire un travail personnel pour savoir où sont nos privilèges pour éviter de participer, consciemment ou non, à un système oppresseur.

Chez Lallab, nous cherchons à créer une société plus juste et égale pour toutes les femmes sans porter de jugement sur les identités ou les choix de celles ci. Nous sommes donc tou.te.s des allié.e.s. Mais comment être un.e bon.ne allié.e ?

1) Écouter & apprendre à se taire

L’une des règles les plus importantes du rôle d’allié.e est de ne pas prendre tout l’espace en monopolisant la parole. Vous pouvez certes participer si votre contribution est enrichissante, ou en posant des questions pertinentes ou qui peuvent faire avancer le débat, mais sachez garder une place marginale. Etre l’allié.e d’une personne, c’est savoir rester à sa place de « non concerné.e » par une oppression : il faut savoir être à l’écoute du ressenti, du témoignage, des analyses, des solutions proposées. Il faut savoir être une oreille bienveillante.
Si un sujet vous met mal à l’aise, vous êtes parfaitement libre de ne pas vous y engager et de laisser les personnes concerné.e.s débattre.

2) Lire & se renseigner

Un.e allié.e s’éduque constamment et n’attend pas des concerné.e.s qu’ils/elles fassent le travail à sa place. Il est important de faire ses recherches et pas d’épuiser les concerné.e.s avec ses questions. Lisez et apprenez des expériences des personnes concernées. Google – ou Lilo – est votre ami.

3) Accepter les critiques

Face à la critique, il est important de ne pas se mettre sur la défensive, mais plutôt d’écouter, de s’excuser, de prendre ses responsabilités et de faire en sorte de modifier son comportement. N’attendez pas que le respect de vos sentiments soient la priorité des personnes blessées par vos actes ou vos propos, et concentrez-vous sur le fond plutôt que la forme. Le tone policing est une arme de silenciation en ce qu’elle permet de mettre un terme à une discussion en poussant ses participant.e.s à la colère pour mieux délégitimer leurs discours.

4) Ne pas prendre toute la place

Quand on est allié.e d’une cause, l’idée n’est pas de tout ramener à soi et de se mettre en avant. L’idée est justement de mettre en avant les personnes concernées et de les aider de la manière dont elles le jugent le plus pertinent.
Ne pas en faire une question d’égo : il est important de ne pas s’engager juste pour briller en société ou se faire passer pour une personne géniale et tellement ouverte d’esprit, mais par réelle conviction, par envie de faire bouger la société.
Tant mieux si cela permet de vous enrichir, pour votre propre développement personnel, et c’est même essentiel, mais gardez en tête que vous êtes ici pour l’intérêt général et pas uniquement pour le vôtre.

Par exemple, en janvier dernier, lors de la participation de Lallab à l’Emission Politique, France 2 a insisté pour que l’invitée face à Manuel Valls, soit Sarah cofondatrice de Lallab. Nous nous sommes battues pendant plusieurs jours auprès de la chaîne télévisée pour que l’invitée soit Attika, trésorière de Lallab. Pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet portait sur la question du voile en France et Sarah est certes musulmane mais ne porte pas le foulard. Chez Lallab, nous avons une règle simple : toujours donner la parole aux principales concernées ! Sarah n’ayant pas la légitimité de s’exprimer au nom de celles qui portent le foulard, elle a tout simplement « passé le micro » à Attika !

5) Se concentrer sur le dialogue avec les personnes qui ont la même identité

Votre rôle d’allié.e est également de combattre les oppressions, d’éduquer vos proches x-phobes x-cistes, dans le but que ces personnes ne diffusent pas leur propos nauséabonds auprès des personnes concernées. Et oui, cela signifie que vous allez vraiment avoir une conversation avec votre tata qui n’est pas raciste mais qui trouve qu’il y a quand même beaucoup de femmes voilées en France 😉

6) Ne pas prendre de pause

Les personnes racisées doivent faire face au racisme tous les jours, sans jamais pouvoir y échapper, les femmes subissent la misogynie perpétuellement, dans leur travail et au sein même de leur foyer.
De la même manière, en tant qu’allié.e.s vous ne pouvez pas vous taire quand « cela vous arrange », ou juste quand vous avez la flemme. Se montrer solidaire, c’est aussi partager ce fardeau de la déconstruction, et ne pas le laisser uniquement aux personnes concernées.

7) Être allié.e n’est pas une identité, mais un processus

Être allié.e est un but jamais vraiment atteint, il y a toujours des choses à apprendre, à mieux faire, c’est un processus qui ne finit jamais. Ce n’est pas non plus un titre que l’on peut se donner à soi-même. Ce n’est qu’au regard de vos actes et de votre attitude que le groupe, et surtout les personnes concernées, pourront déterminer si vous pouvez rester dans un espace safe ou si au contraire vous le polluez par vos interventions, par votre manque de remise en question. Ce n’est pas une identité parce que « être allié.e » n’absout pas de toutes les choses dites et faites dans le passé, ni ne protège d’erreurs dans le futur.

8) Ne pas se servir d’une caution « oppressée »

Il ne suffit pas d’avoir un.e ami.e dans une situation d’oppression (la fameuse amie noire de Nadine ♥) pour prétendre avoir une connaissance générale du vécu de toutes les personnes vivant cette même oppression. Pire, vous ne pouvez utiliser cet.te ami.e, ou même sa parole afin de conforter, de légitimer un discours raciste.
Par exemple : je connais une fille, c’est son père qui l’oblige à porter le voile, cela signifie donc que toutes les femmes voilées sont obligées de le faire.

9) Ne pas jouer pas aux jeux Olympiques de l’oppression

Vous êtes au milieu d’une conversation sur le racisme ? Donc non, ce n’est pas le moment pour parler d’une autre discrimination que vous vivez. Être oppressé.e sur certains sujets ne vous octroie pas un « free pass » pour ne pas rester dans votre rôle d’allié.e sur des sujets qui ne vous concerne pas. Ne déraillez pas la conversation. Il n’est pas toujours question de vous.

10) Ne pas monopoliser l’énergie et la force mentale

Les allié.e.s ne peuvent demander aux personnes en situation d’oppression d’essuyer leur larmes parce que cette situation les attriste profondément ; ils/elles ne peuvent pas non plus épuiser ces personnes en leur racontant toutes les situations d’oppression dont ils/elles ont été témoins. Ces oppressions, votre interlocuteur/trice les connaît, les vit au quotidien et n’a pas nécessairement envie que vous les lui rappeliez constamment.

11) Ne pas baisser les bras !

Le chemin de la déconstruction est long et parfois douloureux. Parfois, vous serez épuisé.e.s. Alors n’oubliez pas de prendre soin de vous. Et rappelez-vous, ça en vaut vraiment la peine : on change le monde !

Article coécrit par Lysandra, Sarah Zouak et Justine Devillaine


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