Un livre de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener.
La Découverte, 2013, 175 pages, 16 euros.
Lire une présentation du livre que j’ai faite :
Le pouvoir ne se donne pas, il se prend. Dès lors, comment encourager l’émancipation ?
Le livre de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener explore les contradictions intrinsèquement liées aux notions d’empowerment, d’émancipation, et dans lesquelles se débattent militants et professionnels qui interviennent dans le champ du social.
Les auteures vont rechercher l’origine de la notion d’empowerment dans les mouvements féministes radicaux des années 1970 aux États-Unis. L’idée est alors de s’opposer à une logique de victimisation et au paternalisme bourgeois, et de viser une émancipation individuelle et collective débouchant sur un projet de transformation sociale : du « pouvoir intérieur » au « pouvoir de », puis au « pouvoir sur », à la fois individuel et collectif. Le livre retrace les dynamiques d’auto-organisation des opprimé-e-s, par lesquels les mouvements radicaux étatsuniens (féminisme radical, Black Power, Community organizing, psychologie communautaire…) ont cherché à créer des cadres qui permettaient, individuellement et collectivement, d’affirmer sa dignité, de s’auto-éduquer, et de construire une force collective en vue de revendiquer une transformation sociale.
Mais aujourd’hui le terme d’empowerment est extrêmement ambivalent. Les auteures nous détaillent le parcours de cette notion jusqu’à sa récupération au cours des années 1990 par l’ONU et la Banque mondiale, qui en ont fait un concept néolibéral en le réduisant à sa dimension individuelle. Les idées d’engagement, d’autodétermination, de responsabilisation et de libre choix ont été conservées, mais la dimension collective et politique qui leur donnait sens a été gommée. Le livre explicite comment le nouvel empowerment promeut désormais la responsabilisation des pauvres, le traitement individuel du développement (auto-entreprise, microcrédit…), le modèle de l’insertion individuelle, et remet en cause la redistribution des ressources et le principe de solidarité sociale. Se basant sur la rationalité des acteurs, le néolibéralisme adresse à chacun-e, sous couvert d’empowerment, une injonction d’être entrepreneur de sa propre vie.
Les auteures identifient les politiques social-libérales, de « troisième voie » ou telles que la politique de la ville en France, comme un « entre-deux » en ce qui concerne le sens donné à l’empowerment, en se concentrant sur l’idée d’égalité des chances et l’injonction à la participation. Si ces politiques visent une recherche d’égalité opposée à l’inégalité, elles ne revendiquent pas une émancipation ou une libération opposées à la domination, à l’exploitation ou à l’oppression.
Au travers de ce livre, on voit comment ce qui était de l’ordre de l’émancipation est aujourd’hui devenu une injonction à l’autonomie, et comment l’empowerment se situe désormais entre la reconnaissance et la culpabilisation. Le mot commence tout juste à être utilisé en France, alors qu’aux États-Unis, où il est né, les radicaux refusent de l’utiliser depuis que le néolibéralisme l’a dépolitisé et neutralisé.
Les auteures font un (trop) rapide détour par le mouvement d’éducation populaire qui s’est développé en France après la Seconde Guerre mondiale : elles le qualifient de « proche de certaines visions radicales de l’empowerment qui s’affirmeront plus tard aux États-Unis ». Depuis quelques années, c’est maintenant sous l’appellation d’« éducation populaire politique » qu’on peut retrouver en France des mouvements proches de l’idée initiale d’empowerment. Mais ça, les auteures n’en parlent pas… À nous de lui donner corps !