Un livre coordonné par Françoise Garibay et Michel Séguier.
Écrit avec Henryane de Chaponay, Nicole Desgroppes, Claire Héber-Suffrin, Paul Taylor.
Paru aux éditions Syllepse, 2013
Afin de vous donner envie de lire le livre, je vous en propose quelques extraits choisis.
Extraits choisis
Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait que je les présente ici hors du texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre.
[Les passages entre guillemets sont de Freire lui-même]
« La culture est la manière dont un groupe humain répond aux défis de l’histoire ».
« L’éducation est l’amont du changement ».
Paulo Freire
Retrouver la dimension politique de la pédagogie.
Une praxis : processus d’action et de réflexion des individus sur leur milieu dans l’intention de le transformer.
RENCONTRE AVEC PAULO FREIRE
Paulo Freire : 1921-1997
Introduction au parcours de Paulo Freire et à son discours
Pour lui, aucune pédagogie n’est neutre. Elle est soit une arme de domestication, voire de déshumanisation, soit un outil d’émancipation.
Nécessité d’un dépassement de la conscience magique et fataliste par la construction d’une conscience critique, sans laquelle aucune transformation sociale n’est possible.
« Parce que cette progression (vers la démocratisation) signifiait l’insertion de l’homme dans son milieu et sa capacité de choisir, les attaques contre les privilèges allaient s’intensifier et les refus des règles imposées devenir plus fréquentes »
Freire se sentit régénéré en tant que hombre nuevo, éducateur radical, praticien réformiste et philosophe militant.
L’enquête conscientisante, la recherche-action, la critique institutionnelle, la créativité collective.
L’espérance : ce « sentiment qui fait entrevoir comme probable la réalisation de ce que l’on désire », et qui dépasse la simple assurance qu’apporte l’espoir.
Critique du système qui privilégie l’éducation bancaire : il n’y a pas d’enseignement sans apprentissage. Enseigner n’est pas transférer la connaissance. Enseigner est une spécificité humaine : elle reste toujours profondément idéologique, politique et éthique.
Sa colère infatigable, son indignation, son humilité, et son amour pour la vie et pour les êtres, oh combien humains !
Notions clés de sa pédagogie
Il dit que, depuis les années 1970, il n’utilise pas le mot conscientisation.
La conscientisation est entendue comme une nouvelle prise de conscience, qui a le potentiel de transformer la réalité sociale. une telle prise de conscience ne crée pas cette réalité : penser que l’on est libre, ou le revendiquer, n’équivaut pas à la liberté. « Il est naïf d’insister sur le fait que l’éducation est un moyen pour transformer la réalité ».
« J’insiste sur l’impossibilité de considérer le système éducatif comme instrument de la transformation sociale ».
Réaliser un « programme d’alphabétisation qui serait une introduction à la démocratisation de la culture ».
Capacité à nommer et à transformer le monde par la démocratisation de la culture.
Éducation bancaire : plus les élèves s’emploient à archiver les « dépôts » qui leurs sont remis, moins ils développent en eux la conscience critique qui permettrait leur insertion dans le monde comme agents de transformation, comme sujets.
Il faut transformer le système de l’éducation bancaire en pédagogie dialogique.
La seule motivation pour changer la réalité sociale, quelle que soit sa force ou sa puissance, n’était pas suffisante pour réaliser le changement souhaité. Autrement dit, la conscientisation sans action, comme la réflexion sans action, ne créent qu’une illusion de changement, et de cette manière renforcent le statu quo.
Pour être gouvernables, il faut qu’ils sachent lire.
Freire a raison de se méfier de tous les programmes contre l’illettrisme ou l’analphabétisme qui se contentent seulement d’aider les gens à lire. Ils risquent de former des individus qui savent « lire les instructions » : un tel projet éducatif d’alphabétisation est plutôt un projet politique d’apprivoisement.
L’éducation est toujours une action soit de domestication, soit d’émancipation.
Face à ce qu’il appelle l’éducation bancaire ou alimentaire, Freire plaide pour une éducation dialogique et libératrice. La première se manifeste par l’insistance sur la transmission de savoir de l’enseignant à l’enseigné, par la passivité de l’apprenant, et par l’aliénation personnelle et culturelle de l’apprenant qui est regardé comme une boîte vide à remplir, un objet dans lequel on dépose des savoirs.
Selon les dictionnaires, la liberté (du latin liber) s’oppose à l’esclavage et à la servitude en étant l’absence ou la suppression de toute contrainte considérée comme anormale, illégitime, immorale.
Je suis libre, non pas dans la mesure où je suis juridiquement autonome ou socialement indépendant, mais au fur et à mesure que je suis aimé.
« Il ne s’agit pas de sentimentalité, mais d’un acte de courage. L’acte d’amour consiste à se compromettre pour leur cause, la cause de leur libération ».
Un véritable programme d’alphabétisation, au contraire, accompagne la construction de la conscience critique, individuelle et collective, permettant de refuser d’accepter ce silence et ce pouvoir comme des données inaltérables.
Il est nécessaire que cette réflexion critique soit le préalable de toute action émancipatrice.
Révolutionnant : un néologisme pour dire que, si cette pédagogie strictement n’est pas politique révolutionnaire, elle reste néanmoins « révolutionnante », c’est-à-dire qu’elle peut, sous certaines conditions, provoquer des changements sociaux fondamentaux.
Une méthode pour écrire
L’alphabétisation est un processus qui continue tout au long de la vie dans le sens où, à travers nos capacités à écrire, à lire et à parler, nous élargissons constamment notre compréhension du monde.
La méthode est fondée sur une technique simple mais fondamentale de « problématisation » : on cherche à poser un problème ou à formuler une question de telle façon que cette rechercher amène les apprenants nécessairement à l’action. Dans ce sens, elle est l’antithèse de l’éducation bancaire qui donne, prêtes à penser, des solutions et des réponses.
Une investigation qui se déroule en trois étapes :
– La première cherche à nommer la réalité de la situation : quel est le problème ?
– La deuxième est l’étape de la réflexion et de l’analyse : comment expliquez-vous cette situation ? comment vous la vivez ? pourquoi est-ce comme ça ?
– La troisième passe à des propositions d’action : que faire ? qu’est-ce que nous avons comme possibilités pour intervenir ? avec quelles stratégies ?
L’écho d’un enseignement d’origine jésuite fondé sur les consignes de « voir-juger-agir ».
L’objectif des éducateurs ne doit aucunement être d’insérer les apprenants dans leur culture, mais plutôt de s’insérer dans la culture des apprenants, afin d’éviter l’oppression qu’est l’invasion culturelle, même si elle est bien intentionnée.
Dans une pédagogie émancipatrice, il est important que les gens arrivent à appliquer l’alphabet à leur langue et non pas à celle des classes dominantes.
Seule une éducation authentiquement dialogique est capable d’impulser la déhiérarchisation des savoirs, et donc de transformer les relations établies de pouvoir.
Il y a toujours place pour une certaine spontanéité dans la discussion, mais aucune place pour l’improvisation de la part des animateurs du groupe.
RENCONTRE AVEC LE CERCLE DES PÉDAGOGIES ÉMANCIPATRICES
Les parcours des auteurs
Toujours conjuguer transformation personnelle et transformation sociale.
Un des héritages fondateurs pour nous tous est celui de la dignité.
Ces expériences d’humiliation s’articulent avec une fierté ressentie comme puissante et avec la conscience d’une dignité admirée chez leurs prédécesseurs et quasi « héritée » comme une ressort nécessaire par chacun d’eux.
Une conscience très partagée d’avoir beaucoup reçu d’un point de vu affectif. Nous sommes tous détenteurs d’un capital affectif qui a sans doute été un des fondements de notre persévérance.
Des apprentissages par l’imprégnation (on voit bien là le rôle des parents, de la famille, mais aussi des environnements socioculturels).
« On n’enseigne que ce que l’on est », disait Jaurès.
Nous avons appris :
- À résister, ou tenter toujours de le faire, à l’humiliation, au conformisme, aux ségrégations.
- À désirer, à avoir le goût de la fraternité, à faire le choix de la solidarité.
- À vivre « à la marge » sans pour autant que ce soit dans l’exclusion. N’est-ce pas ce qui nous permettra d’essayer de jouer le rôle de « passeurs de frontières » ?
La colère, l’indignation, la dénonciation, le refus, la révolte ont fait de ces manques et difficultés une des racines de nos espérances et de nos démarches.
Nous avons appris ce sur quoi nous pouvions nous appuyer et ce à quoi nous ne devions pas consentir.
Paul Ricœur (1990) : « Estime de soi et sollicitude ne peuvent se vivre et se penser l’une sans l’autre. Dire soi n’est pas dire moi. Soi implique l’autre que soi, afin que l’on puisse dire de quelqu’un qu’il s’estime soi-même comme un autre… À vrai dire, c’est par abstraction seulement qu’on a pu parler de l’estime de soi sans la mettre en couple avec une demande de réciprocité, selon un schéma d’estime croisée, que résume l’exclamation « Toi aussi ! »
Des valeurs de justice sociale, de solidarité, de parité. Une conception des savoirs qui en fait des biens communs qui devraient être de droit pour tous.
Responsabilité = conscience + liberté
Solidarité = justice + partage
Le cheminement du collectif
Cercle des pédagogies émancipatrices :
Travailler sur la dimension politique de la pédagogie + Agir pour favoriser les praxis en tant que processus d’action et de réflexion des individus sur leur milieu dans l’intention de le transformer.
CONFRONTATION AVEC DES CONCEPTS GÉNÉRATEURS : LES QUESTIONNEMENTS
Quelles pratiques de participation peuvent produire des changements sociaux effectifs ? Quelle participation permet de décider de sa propre vie et de faire ses choix politiques pour transformer sa vie ? Comment la maîtrise d’un « pouvoir d’agir » peut viser , permettre et construire des transformations sociales émancipatrices ?
L’émancipation
Du la tin emancipare, qui signifie affranchir un esclave du droit d vente, venant de « e » privatif et manucapare, prendre par la main.
Se libérer des situations contraires à la dignité humaine.
Vouloir en même temps l’émancipation des opprimés et cell des oppresseurs.
Une espérance critique dans la capacité de l’être humain à transformer la situation dans laquelle il se trouve.
Désintoxication des idées aliénantes, par le dépassement des catégorisations sociales qui nous enferment et structurent les inégalités sociales, économiques, politiques et territoriales.
Comment combiner mesures d’urgence et long terme, actions concrètes et changement de regard ?
Les prises de conscience individuelles peuvent dériver en défenses d’intérêts particuliers, corporatistes ou communautaristes.
Primo Lévi, 1987 : « L’image si souvent démultipliée de l’esclave brisant ses lourdes chaînes est rhétorique. Ses liens sont toujours brisés par des compagnons dont les liens sont plus lâches ».
La participation et les transformations sociales
On ne peut ni chercher le bien de quelqu’un à sa place, ni libérer quelqu’un contre son gré.
Paulo Freire : « Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble »
Ils ne s’engageront pas dans la lutte sans être convaincus.
L’émancipation individuelle que nous recherchons passe nécessairement par une stratégie émancipatrice collective.
Trois niveaux de participation :
- À un premier niveau, la participation est purement symbolique (ou pire, obligatoire) : la population est mobilisée pour entreprendre des actions sur lesquelles elle n’a aucun droit de regard et aucun contrôle.
Quand on travaille seulement pour, et non avec les gens, la participation de la population ne peut être que marginale, symbolique, parfois cosmétique, parfois mensongère. - À un deuxième niveau, les gens prennent des responsabilités au sein du projet, bien que les objectifs et le mode d’intervention aient été choisis préalablement par des professionnels ou pas des instances politiques. Beaucoup d’actions de développement dans les quartiers, dites de « démocratie participative » correspondent à ce modèle. Même des initiatives spontanées, nées au sein de la communauté, et impulsées par la frustration et l’indignation, peuvent succomber à une telle participation contrôlée, récupérée ou apprivoisée par des professionnels ou des leaders qui sont censés n’être qu’accompagnateurs.
- Enfin, et paradoxalement, quand un groupe ou une communauté est en position de déterminer ses propres priorités, de gérer toutes les étapes dans le déroulement d’une dispositif social, culturel ou professionnel, quand la communauté est interlocuteur et acteur dans tous les aspects du projet, on a tendance à ne plus parler de participation, mais d’autonomie, d’autodétermination, et de partenariat.
Les classes dominantes, les détenteurs du pouvoir, prennent la démocratie (dite) représentative comme forme d’organisation politique indépassable, oubliant les formes de démocratie directe ou de proximité.
Le monde donné comme inévitable, le monde qui est « comme ça », n’est pas un lieu d’émergence du sujet.
Même quand nous sommes conscients de l’injustice et de l’oppression, nous avons souvent un mal à les « nommer » et à les « problématiser ». Dans ce sens, nous sommes tous politiquement plus ou moins illettrés.
Si l’homme exerçant son analyse critique sur sa place dans la société ne se reconnaît pas conditionner, il n’y a pas de place non plus pour les transformations sociales.
L’approche pathologique permet de pallier d’une manière efficace les symptômes d’une maladie (par la participation) tout en nous interdisant d’en aborder les causes (pour viser les transformations sociales).
« Ce que veulent les oppresseurs, c’est transformer la mentalité des opprimés et non la situation qui les opprime, pour que ceux-ci, mieux adaptés à cette situation, soient mieux dominés ».
La transformation sociale démarre dès que l’on décide de sortir de la conscience naïve, de questionner le monde comme donné et institué d’une façon immuable ou décidé ailleurs, convaincus que le monde peut-être autre, que des alternatives existent.
L’approche de transformations sociales menées uniquement à partir de politiques publiques sociales et éducatives conçues et décidées depuis l’appareil d’état, même si elles sont votées par les chambres de représentants, est vouée à l’échec. On ne décrète pas le changement structurel et la participation active, on les construit.
DES EXPÉRIENCES & DES PRATIQUES À VISÉE ÉMANCIPATRICE
[Je n’essaierai pas ici de donner une idée de ces différentes expériences et pratiques présentées dans le livre : je m’en tiendrai à citer quelques phrases qui m’ont marqué, mais qui seront du coup présentées ici hors contexte. Lisez le livre !]
Capacitation et développement
Brésil : Quand la solidarité tisse un mouvement social dans le territoire de Pintadas
La relecture politisée des textes bibliques incite la pratique de la solidarité au sein de la collectivité.
Le travail de fond sur l’émancipation se fait à plusieurs niveaux : celui de l’auto-estime de l’individu-citoyen, la promotion de la formation à des métiers divers (les ateliers de couture et de menuiserie), la promotion de la culture locale (le manuel de l’histoire de Pintadas, l’atelier de capoeira), la construction collective de la citoyenneté, ainsi que les relations avec le pouvoir public local.
Le mouvement social organisé devient l’acteur responsable de la gestion publique locale.
Mobiliser de façon continue la population locale et éviter le piège de la dépendance exclusive vis-à-vis des institutions politiques.
Montréal : Production collective d’un savoir émancipateur
Québec remet en question l’universalité des programmes sociaux remplacés par des services ciblés où les groupes communautaires sont utilisés comme ressources pour aider à l’intégration et à l’insertion sur le marché du travail de façon efficace et moins coûteuse.
Employabilité : acquisition d’attitudes et d’aptitudes favorables à la recherche d’emploi.
Faire des usagers des bénéficiaires, dans une société qui ne se remet pas en question.
Ces actions collectives visent à la fois à répondre aux besoins les plus urgents de se loger, de se nourrir, de travailler, d’écrire, de lire et de compter, d’être intégré dans la société, etc., et d’autre part, à défendre autrement les droits sociaux (éducation, logement, santé, travail, etc.).
Michel Foucault (1994) : « Ce ne sont pas les idées qui mènent le monde. Mais c’est justement parce que le monde a des idées (et parce qu’il en produit beaucoup continuellement. »
La rencontre débute par un exercice où chaque participant nomme ses ignorances et ses savoirs et fait connaître aux autres ses demandes et ses offres.
Cette réciprocité des échanges de savoirs devient une expérience de création de liens égalitaires.
Non pas se raconter leur vie comme individus, mais plutôt leurs expériences de vie comme membres de cette collectivité.
Mexique : Une capacitation basée sur la recherche-action : 25 ans d’expériences avec des groupes de paysans et d’Indiens
La recherche-action est une méthode de travail adoptée par l’éducation populaire. Elle consiste à produire des connaissances qui permettent de guider la pratique et implique la modification d’une réalité donnée, en tant que partie intégrante du processus de recherche.
L’idée d’émancipation doit avoir un impact concret sur la réalité. Pour les groupes de paysans concernés, l’émancipation passe par une transformation réelle et durable de leurs conditions de vie, l’élévation de leurs niveaux de vie et de bien-être.
Cela signifie respect, reconnaissance et valorisation de la personne et du groupe, respect de sa langue, de sa pensée, de sa culture et de ses pratiques, de sa vision du monde, de son organisation.
Une perspective critique face aux simples objectifs de transferts de connaissance et de technologie de la formation traditionnelle.
Pour être émancipatrice, la formation en milieu rural doit accepter d’affronter la problématique de façon intégrale, de se situer d’emblée dans la complexité.
La capacitation est un processus de longue durée, c’est-à-dire que le résultat attendu ne sera obtenu qu’à condition que l’on réalise une action éducative durable, et jamais grâce à la seule réalisation de sessions ou d’événements isolés ou sporadiques.
L’évaluation est un éléments indispensable dans tout le processus de capacitation en incluant l’étude de son impact sur le travail et l’action transformatrice.
Le formateur ou tuteur, si le dispositif le permet, accompagne les personnes ou collectifs en formation dans leur travail quotidien, observe, intervient peu, n’enseigne pas, ne résout pas les problèmes, mais questionne beaucoup, pose des questions « génératrices » qui favorisent la réflexion et l’apprentissage individuels et collectifs.
Mexique : Apprendre à entreprendre : ateliers permanents pour la construction systématique de connaissances à partir d’expériences d’économie populaire
Recherche-action participative.
Une éducation comprise non comme un transfert de connaissances, mais comme une construction de celles-ci, entre les membres des groupes et les éducateurs, a un effet émancipateur.
La phase actuelle de globalisation s’alimente de mythes divers. L’un d’entre eux est qu’il faut tout d’abord produire la richesse avant de la distribuer. La première conséquence en a été l’exploitation des travailleurs, mais on en arrive aujourd’hui à l’exclusion de milliers d’entre eux.
Un autre mythe est celui de la « main invisible ».
Le troisième mythe, celui du libre marché.
Mexique : De l’enseignement-apprentissage au travail-apprentissage : une formation professionnelle émancipatrice au Yucatan
Nous n’arrivions pas à transformer la dynamique de la formation qui n’acquérait pas effectivement son caractère libérateur.
Pourquoi cette expérience ne permettait-elle pas aux travailleurs en formation de développer une connaissance de la réalité suffisamment approfondie pour qu’ils puissent prendre conscience de leurs besoins et construire des alternatives efficaces pour la transformer ?
Pourquoi la transformation de la relation formateur-apprenant grâce à une participation plus active des travailleurs en formation ne provoquait-elle pas que ceux-ci prennent conscience de leurs possibilités en termes d’autonomie et de prise de décision ? La méthodologie employée dans la formation n’était-elle pas en cause et, dans ce cas, n’était-il pas indispensable de la modifier ?
La conception méthodologique du travail-apprentissage qui s’appuie sur une série de principes de la philosophie et d’un certain nombre de sciences, propose de :
– Partir de la réalité vivante du travail en tant que point de départ de la connaissance et de l’apprentissage ;- Convertir le processus de travail en outil principal de l’apprentissage : les contenus de l’apprentissage proposé découlent des caractéristiques et exigences propres du travail.
Pédagogies émancipatrices et action culturelle
France : Quand la formation réciproque génère des émancipations réciproques : Réseau d’échanges réciproques de savoirs
Ce qui circule, c’est le savoir : nul troc, nul rapport d’argent ou de service dans les échanges, c’est le désir et le besoin qu’en ont les offreurs et demandeurs qui déterminent la valeur du savoir pour chacun.
Je peux = je suis capable.
Ce qui renvoie à la capacité, la faculté, l’aptitude. Ces femmes expriment le sentiment de sortir de l’incapacité, de l’incompétence, de l’inaptitude ou, du moins, d’un enfermement dans une représentation sociale subie d’incapacité, incompétence et inaptitude.
Je peux = c’est possible, et ça m’est possible à moi.
Ce qui renvoie à la possibilité, mais aussi à la liberté, au droit, à la permission, à l’autorisation, à la facilitation. Versus impossibilité, interdiction, inhibition, obstacles, être accablé. Elles découvrent que, personnellement et avec d’autres, elles peuvent, c’est possible.
Je peux = j’en ai la puissance.
Ce qui renvoie à la force, l’énergie, le courage, le désir… Versus impuissance, faiblesse, cynisme… On peut admirer dans tous ces parcours, dont le récit fait ici risque d’évacuer la puissance transformatrice, à quel point la dynamique de coopération et de réciprocité aliment le courage et le désir.
Je peux = je le décide, c’est moi qui décide.
Ce qui renvoie à la décision, à la responsabilité, à la maîtrise, à l’autonomie, au choix. Au « pouvoir de » (c’est-à-dire un verbe qui exige d’être suivi d’un autre verbe) comme un acte constitué d’une chaîne d’action intégrant le pouvoir d’imaginer, d’exprimer, de délibérer, de négocier, de décider, d’agir, d’évaluer, de réajuster… Quel versus ? Domination, exploitation, flagornerie, complaisance, soumission, peur, humiliation, fatalisme, servitude, dépendance, irresponsabilité… et donc « pouvoir sur » les autres plus que sur soi. Elles peuvent même décider, non pas seulement contre ‘leur mari, leur communauté…), mais autrement que leur histoire sociale et culturelle les a « programmées ».
Réinterroger le mot solidarité tel qu’il est souvent confondu avec la pratique de l’assistance aux plus faibles.
Solidarité (définition du dictionnaire) : dépendance mutuelle entre les hommes, sentiment qui pousse les hommes à s’accorder une aide mutuelle ; solidaire, au milieu du XVè siècle, signifiait commun à plusieurs, chacun répondant du tout.
Paul Ricœur indique que la responsabilité se fonde sur trois mouvements pour la personne : suffisamment d’estime de soi, suffisamment de tension vers autrui, suffisamment de désir de vivre dans des institutions justes.
France : Recherche-action-formation : croisement des savoirs et des pratiques entre personnes en situation de grande pauvreté, universitaires et professionnels (ATD QM)
Les cinq thèmes : le savoir et l’école, le projet familial et le temps, l’histoire du passage de la honte à la fierté, le travail et les savoir-faire des très pauvres, la citoyenneté et la représentation.
Un a priori à la fois éthique et épistémologique : toute personne, même la plus démunie, détient potentiellement les moyens de comprendre et d’interpréter sa propre situation.
Ce que Paulo Freire appelle le savoir bancaire et le savoir émancipateur. Le premier s’acquiert d’abord de façon théorique et par les livres. Le second est le fruit de rapports interactifs et prend appui sur les situations vécues. Le savoir émancipateur est donc un savoir critique et une dynamique de formation à la critique du savoir.
Non seulement cette démarche créer la communication entre des milieux qui ne se connaissent pas, mais elle provoque chez chacun des participants des prises de conscience transformatrices qui amènent le sujet à reconstruire à la fois son propre savoir (de soi, des autres et des choses), son mode de relation aux autre, et plus particulièrement à ceux avec lesquels il a partagé son savoir et chez qui il provoque un changement des pratiques.
Dans le monde de la pauvreté, des femmes et des hommes ne sont trop souvent pris en compte que sous l’angle de leurs manques et de leurs besoins, et sont priés de collaborer aux solutions que d’autres ont imaginées pour eux. Ils occupent d’emblée une position basse.
La non-prise en compte du savoir des personnes concernées est une des causes de l’échec des politiques de lutte contre la pauvreté.
Le cadre éthique comprend un certain nombre de valeurs liées au dialogue entre les personnes : écoute active, respect de la parole de l’autre, disponibilité à adopter une posture critique vis-à-vis de son propre savoir, conviction que tout savoir est toujours en construction.
Ce serait un piège de faire comme si tous les participants étaient d’emblée en situation d’égalité alors que ce n’est pas le cas.
Au cours des échanges, chacun doit voir respecté son propre rythme de compréhension et d’expression.
Pouvoir identifier les éléments de désaccord est une étape essentielle. Sans confrontation, pas de construction collective.
Brésil : Favela tem memoria : récupérer la mémoire sociale des favelas pour se réapproprier sa ville
Démonter, par la confrontation des données, les énoncés péjoratifs de l’histoire officielle, intériorisés par les habitants. Investir dans la construction d’une nouvelle identité sociale non stigmatisée.
Prêter une attention redoublée aux dérapages de la raison mythique (l’enchantement de la culture populaire) ou du misérabilisme (la victimisation de la pauvreté).
L’histoire n’est pas du tout un portrait net, vrai ou faux, du temps passé, mais un travail de construction narrative traversé d’interprétations contradictoires.
Mexique : Comment les paysans apprennent ensemble à partir de l’analyse collective de leurs expériences et de leurs savoirs non formalisés
La capacitation a deux types de buts :
– Promouvoir que les groupes de paysans atteignent les objectifs de lutte qu’ils se sont eux-mêmes fixés ;
– Reconstruire l’image que les individus et groupes réputés ignorants ont d’eux-mêmes et selon laquelle ils seraient incapables d’assumer eux-mêmes leur propre développement.
Brésil : Quand la formation professionnelle s’ouvre aux pratiques du monde que nous voulons : la méthodologie de « création du savoir »
Les adolescents élèves au CTC viennent tous de l’école publique, avec tous les problèmes qui en découlent : un enseignement de mauvaise qualité, des professeurs en majorité peu intéressés, des directeurs autoritaires. Leur éducation formelle est de faible niveau, et leur formation en tant que citoyens pratiquement nulle ; ils ne sont pas sujets de leur vie.
Le rôle de l’éducateur, dans cette perspective, consiste à poser des questions, faire penser, animer la discussion, brisée l’idée que la connaissance est immuable et qu’elle a un propriétaire. Cela signifie ne pas accepter des réponses toutes faites, des textes appris par cœur, mais se saisir des concepts erronés des élèves comme éléments pour enrichir la discussion, briser les concepts pour élaborer une nouvelle connaissance fruit de la participation de tout le groupe. La connaissance ainsi construite par le groupe lui appartient.
Certaines stratégies sont nécessaires : simplifier le langage, les formules utilisées, les concepts, afin de faciliter la compréhension et l’accès à la connaissance ; utiliser une erreur comme instrument d’avancée ; transformer le tableau en un cahier collectif sur lequel chacun a le droit d’écrire ; valoriser l’auteur, faire constamment le lien entre la théorie et la pratique et, en particulier, souligner la solidarité comme élément fondamental dans la construction collective de la connaissance.
Participation citoyenne et démocratie
À venir…